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La majorité légiférante ne doit pas cesser de correspondre à la majorité votante, mais la minorité doit conserver dans son intégrité son droit pratique d’opposition et de contrôle.

Il importe de remarquer dès l’abord que la représentation mathématiquement proportionnelle est une conception d’ordre théorique dont la réalisation est une chimère. Elle ne serait possible qu’en admettant avec Condorcet et Emile de Girardin que chacun de-nos 11 166 012 inscrits ou de nos 8 703 302 votans pût inscrire sur son bulletin le seul nom du représentant choisi par lui ou encore, en une liste, les noms des 575 députés de son goût et que les suffrages ainsi recueillis fussent totalisés pour l’ensemble de la France. Quel plébiscite invraisemblable sur des milliers de noms ! En Belgique, où la représentation proportionnelle fonctionne sans heurts depuis six ans, une proportion mathématique aurait dû donner, lors des élections de 1900, 76 députés catholiques, 35 libéraux, 35 socialistes, 4 démocrates chrétiens, 2 radicaux, alors que les votes appelèrent à la Chambre 85 catholiques, 31 libéraux, 33 socialistes, 1 démocrate chrétien et 2 radicaux[1]. Les 166 députés belges se décomposent aujourd’hui en 93 catholiques, 43 libéraux, 28 socialistes et 2 démocrates chrétiens. C’est là l’expression la plus générale et la plus complète qui ait été tentée de ce système : la meilleure réponse qu’on puisse faire à ses adversaires est que, malgré la complexité du mode de votation adopté, il n’y eut en 1900, sur 2 134 937 électeurs que 84 023 bulletins nuls, et qu’un seul des résultats proclamés fut modifié par la Chambre.

A la base de la représentation proportionnelle est le scrutin de liste. Le nombre de députés à attribuer à chaque liste doit découler, par un calcul simple, du nombre de voix recueillies par chacune d’elles le jour même de l’élection. Si l’on admet, comme plusieurs États le font pour certaines élections, le vote limité[2], c’est-à-dire le vote de chaque électeur pour un nombre de candidats inférieur à celui des députés à élire, on porte atteinte à la liberté du vote en fixant, antérieurement à ce vote, le nombre des députés revenant à chaque parti. C’est un procédé artificiel et arbitraire qui conduit souvent à des résultats contradictoires.

  1. Henry Clément, la Réforme électorale, p. 93.
  2. Il n’a jamais été appliqué d’une manière définitive pour l’ensemble d’élections législatives.