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plus que froidement. Ils lui déclarèrent ne pouvoir rien pour lui. Le comte de Nesselrode le reçut à sa porte et lui dit d’un ton presque insolent que les affaires dont l’Empereur était occupé ne lui laisseraient pas le temps de le recevoir ni de lire ses lettres. L’intervention d’un autre fonctionnaire russe, le comte d’Anstett et celle d’un émigré, le comte de Bruges, plus connu des Prussiens que La Ferronnays ne l’était des Russes, eurent raison, au moins dans l’apparence, de ces rigueurs humiliantes. L’envoyé du Roi revit Nesselrode, en fut mieux reçu cette fois que la première et, finalement, obtint de l’Empereur l’audience qu’il sollicitait. Il en eut même deux. Dans la première, il remit la lettre de Louis XVIII[1] et exposa l’objet de sa mission ; dans la seconde, il entendit la réponse à sa demande. Quoique enveloppée de bonne grâce et d’aimables paroles, elle était négative sur tous les points. Le Tsar avait le regret, quelque intérêt qu’il portât « au comte de l’Isle, » de ne pouvoir lui donner satisfaction. Le moment n’était pas encore venu de le mettre en activité ni lui ni les princes. Les alliés avaient d’ailleurs trop besoin de ménager la cour d’Autriche pour s’exposer à la blesser en prenant parti pour les Bourbons.

— Si nous parvenons, ajouta Alexandre, à jeter Bonaparte de l’autre côté du Rhin et qu’alors, comme je n’en doute pas, il se manifeste en France quelque mouvement en faveur du Roi, croyez que je saurai profiter du moment et faire entendre à l’Autriche que, mon seul but ayant été de rendre la liberté aux nations, le vœu du peuple français qui réclame ses anciens maîtres rend nul tout engagement qui irait contre un vœu aussi juste. Mais il faut de la patience, une grande circonspection et le plus profond secret.

Ainsi, c’était toujours même chanson. En 1813 comme en 1796, on opposait aux démarches des Bourbons des refus plus ou

  1. A cette époque, les journaux anglais publièrent un pressant appel de Louis XVIII au Tsar en faveur des prisonniers français faits pendant la campagne de Russie : « Que m’importe, disait-il, sous quels drapeaux ils ont marché ! Ils sont malheureux, je ne vois plus en eux que mes enfans. Je les recommande aux bontés de Votre Majesté Impériale. Qu’Elle veuille bien considérer tout ce qu’ils ont déjà souffert ! Qu’elle daigne adoucir la rigueur de leurs maux ! Qu’ils sentent enfin que leur vainqueur est l’ami de leur père. Votre Majesté Impériale ne saurait me donner une preuve plus touchante de ses sentimens pour moi ! » Cette lettre porte la date du 2 février 1813. Mais je n’ai pu découvrir par qui elle fut remise au Tsar. La Ferronnays, qui partit d’Angleterre peu de jours après qu’elle eut été écrite, n’en parle pas dans sa relation.