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poser, sans connaître le terrain, des limites qui peuvent se trouver trop près ou trop loin. Le silence est donc le seul parti raisonnable. »

Ce langage ne trahissait pas seulement des espérances. Il prouvait que le Roi commençait à les croire fondées et s’attendait à leur réalisation prochaine. C’était l’avis de ce qui restait encore d’émigrés à Londres. Ils voyaient déjà la France se rouvrir pour eux. Ils y rentreraient à la suite des armées étrangères, non assurés sans doute de trouver en elles des instrumens de restauration, mais avec la certitude qu’en dépit de leur mauvais vouloir pour les Bourbons, les puissances auraient la main forcée par le peuple. Celui-ci délivré du joug impérial, rendu à lui-même, réclamerait et obtiendrait le l’établissement de son souverain légitime.

Dans l’entourage immédiat du Roi, où les lettres de Joseph de Maistre étaient connues, cette surexcitation atteignait le comble. Louis XVIII et Blacas étaient peut-être les seuls à se rendre compte des difficultés susceptibles de retarder un dénouement heureux. Blacas croyait au succès sans toutefois en préciser l’époque. Le 24 novembre, il écrivait à Joseph de Maistre : « Les événemens se succèdent avec une telle promptitude que nous devons espérer de voir enfin arriver ceux que nous attendons, et il faut convenir que les succès des Russes, que la retraite forcée de Buonaparte, dont on peut calculer les suites, que les avantages de lord Wellington, et les mouvemens de Paris qui font si bien connaître les dispositions de la France doivent soutenir cet espoir. J’aime du moins à le conserver et à voir dans les opérations futures des armées russes, les événemens décisifs qui réduiront le Corse aux plus dangereuses extrémités. »

Mais le Comte d’Artois et ses fils, le Duc de Berry surtout, auraient voulu partir sur-le-champ pour se rendre au quartier général des alliés ; ils conseillaient au Roi de se mettre en route, lui aussi, pour le continent, eu emmenant les prisonniers français internés en Angleterre, à l’aide desquels, en dépit des sanglans souvenirs de Quiberon, ils prétendaient former le noyau d’une armée royaliste. Les nouvelles qui se succédaient, sans qu’on pût du reste en affirmer l’authenticité, — la capture du prince Eugène de Beauharnais, la mort de Napoléon, d’autres aussi peu exactes, — enfiévraient leur impatience dont le Roi s’appliquait à modérer les excès : « La nouvelle est certes fort probable,