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les prescriptions empiriques auxquelles ils ont donné lieu, sont abandonnées avant même de subir l’épreuve du combat.

Il en résulte, pour les esprits réfléchis, une sorte de malaise et de doute, qui croît à chaque fait de guerre contemporaine, origine d’une nouvelle éclosion de solutions et de panacées destinées à rejoindre bientôt leurs devancières. Aussi les théories et les sentimens les plus opposés se font-ils jour en tous pays. En Angleterre, en pleine guerre des Boers, un officier supérieur des plus distingués propose le retour à l’automatisme pur. En Allemagne, un livre récent[1] cause un vif émoi dans l’armée, par la critique violente de ses méthodes d’instruction qui, continuant celles du passé par des parades et des exercices sans valeur, détruisent l’initiative individuelle, ne forment que des machines humaines, sans âme, dès qu’elles n’ont plus d’officiers capables de les actionner ; et l’auteur conclut en se demandant si l’on marche vers Iéna ou vers Sedan.

L’armée française, pas plus que l’armée allemande et les autres armées, n’a secoué le joug d’un formalisme suranné. Tout en proclamant la nécessité de l’initiative individuelle et en l’inscrivant au frontispice des règlemens, elle n’aura de vie réelle que si l’on applique les moyens capables de la faire naître et de se développer au lieu de la laisser se débattre dans des formules et des types rigides propres à la restreindre. Avec le développement de l’outillage de guerre et des moyens de destruction, les méthodes anciennes deviennent de plus en plus caduques. Les combats livrés depuis leur emploi en font foi. Il est facile de s’en rendre compte par les conditions actuelles ou futures des combattans. Ce ne sont plus, comme autrefois, de courtes distances qui les séparent avant de ressentir les effets réciproques de leurs feux, leur permettant, sans pertes sensibles, des marches d’approche en formations denses et profondes, pour lesquelles, éviter le plus possible les couverts et les obstacles, était une nécessité. Les espaces à franchir sous des trombes de fer et de plomb, inconnues autrefois, ont augmenté dans d’immenses proportions et c’est l’évidence même que toute troupe, quelle que soit sa formation, en place ou en marche sur les points de chute des gerbes de projectiles lancés par les engins modernes, se trouve vouée à une destruction plus rapide, si elle

  1. Iéna ou Sedan, par Franz Adam Beyerlin, 1903