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Louisbourg, avait été élevée dans les dernières années du règne de Louis XIV.

Malheureusement la colonie française était trop faible pour subsister sans l’assistance de la métropole, tandis que les colonies anglaises voisines pouvaient se passer d’une semblable assistance ; jusqu’au moment où William Pitt prit la direction de la guerre contre la France, l’Angleterre se soucia de ses colonies américaines presque aussi peu que la France des siennes ; mais le traité d’Utrecht (1713) avait négligemment abandonné à nos rivaux les avant-postes du Canada, la baie d’Hudson, Terre-Neuve, où nous avons hérité d’un litige résolu tout récemment, l’Acadie enfin, où déjà prospérait une race française vigoureuse, acclimatée, dont le concours eût plus que doublé la valeur stratégique de l’île du Cap Breton. Le Canada, qui est aujourd’hui l’un des greniers de la Grande-Bretagne, importait de France et d’Irlande la farine et les viandes salées nécessaires à sa consommation ; la nourriture des citadins, sinon celle des habitans vivant sur leurs terres, se composait de biscuit, de lard et de conserves, comme celle des matelots en pleine mer : coupé de la métropole, le Canada n’avait plus qu’à mourir de faim. La paix, cependant, y porta ses fruits naturels de prospérité ; de la mort de Louis XIV au commencement des hostilités avec l’Angleterre (1715-1744), on estime que la population doubla ; des relations régulières, dont profitaient surtout des armateurs ou négocians de la Rochelle, Rochefort, Bordeaux et Bayonne, développaient dans le pays l’aisance et le goût du luxe ; outre les pelleteries, on commençait à exporter des bois, des prospecteurs venaient chercher des mines, de belles maisons en pierre remplaçaient les cabanes en bois d’autrefois, à Québec et même à Montréal. Mais, malgré des rapports décisifs et par endroits prophétiques, le gouverneur La Galissonnière ne pouvait réussir à secouer l’indifférence élégante des ministres de Louis XV.

La guerre de la succession d’Autriche, qui nous remet aux prises avec l’Angleterre, nous engage maladroitement dans une politique trop exclusivement continentale. Laissé à ses propres forces, le Canada ne peut défendre le Cap Breton contre les efforts combinés des colonies anglaises d’Amérique : Louisbourg, qui n’a qu’une garnison de 1 500 hommes, mal payés, contraints souvent à déserter pour trouver du pain, capitule devant le colonel Pepperell et l’amiral Warren, venus l’un du Massachusetts, l’autre