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ce réveil ; c’est en progression géométrique que paraissent devoir s’accroître le nombre et l’importance des industriels et des commerçans musulmans.

M. Ismaël Hamet, qui appartient à la classe lettrée, est trop imprégné de la culture française pour ne pas souhaiter à ses coreligionnaires l’ascension dans un autre domaine, celui des lettres, des sciences et des arts. Il témoigne peu de tendresse pour la langue arabe ; il en témoigne une très grande, au contraire, pour notre langue ; il juge que, hors du monde savant, l’étude de la première ne peut guère porter de fruits ; peut-être, sans doute même, à un degré ultérieur de leur évolution, les principaux de nos sujets musulmans auront une conception différente. Il voudrait la multiplication des écoles françaises en pays indigène : cette question est, on le sait, très controversée. Nous inclinons, pourvu que l’on se garde de tout abus, à l’opinion de M. Ismaël Hamet, du moins dans les villes et dans le Tell.

La classe intellectuelle, au sens européen du mot, parmi les indigènes, est surtout constituée actuellement par les interprètes et les officiers musulmans. M. Ismaël Hamet en cite un grand nombre avec leurs états de service. On peut y joindre, mais en petit nombre, quelques magistrats indigènes. Nous avons fait remarquer ailleurs que, malgré une prime qui leur est accordée, très peu de cadis connaissent la langue française[1]. Notre auteur ne parle pas du clergé musulman. Les interprètes sont de deux catégories : les interprètes de l’armée et les interprètes judiciaires ; la carrière de ceux-ci s’est beaucoup élargie. Certains se livrent à des travaux d’ordre linguistique ou même juridique, plus rarement d’ordre historique.

Un autre élément de la classe intellectuelle indigène est formé des membres de l’enseignement. Quoique notre politique à l’endroit de l’instruction des indigènes et de l’expansion de notre langue parmi eux ait beaucoup varié et qu’elle manque encore de cohésion et d’esprit de suite, on compte un nombre assez notable de professeurs et d’instituteurs musulmans qui sont quelque peu frottés de notions européennes. On en rencontre dans les écoles primaires des villes ou de leur banlieue, parfois dans les médersas, sortes de

  1. Voyez notre ouvrage : l’Algérie et la Tunisie, 2e édition, Alcan éditeur, page 275.