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Mais voici que l’on embarque les bayadères : dédiées à Parvati, elles en portent le nom tatoué sur un bras. On les aide, on les transporte ainsi que des meubles précieux. C’est plaisir de voir les soins amicaux dont on entoure ces prêtresses de l’amour profane et divin. On se les passe de main en main pour qu’elles ne mouillent point leurs pieds nus, alourdis par les anneaux d’argent qui s’étagent au-dessus de leurs mignonnes chevilles. De ces anneaux, les premiers sont cambrés au-dessus des malléoles à la façon des branches et des surpieds dans les éperons de l’antiquité classique. Les petites prêtresses ont revêtu, pour cette cérémonie solennelle, leurs plus somptueuses parures. Une réduction de casque d’or couronne leur chignon noir d’où descend la tresse à glands qui bat leurs reins bridés par les pagnes de soie pourpre. Une ceinture d’orfèvrerie les enserre. Les bras ronds disparaissent sous les armilles sans nombre. Tout luit, corsets de satin violets, verts, toujours d’un ton tranchant avec celui des pagnes, caleçons striés ou quadrillés d’or, bijoux de face, pendans d’oreilles, colliers, plaques battantes. On dirait autant de reines de Saba. Mais, si luisans que soient leurs joyaux, ils ne brillent pas autant que leurs yeux ombrés par l’antimoine.

La principale des bayadères est encore absente. On s’enquiert, on court, on la cherche. Enfin la voici qui arrive. Le retard s’explique. La belle avait à accomplir des cérémonies dans le sanctuaire. La nature de ces cérémonies, je ne l’ai point demandé. La curiosité eût dépassé les bornes. Le Çivaïsme tantrique a ses mystères sensuels et terribles que le vulgaire ne doit point connaître. C’est là un point auquel il convient de s’arrêter. Et, pour ne point s’y arrêter, la plupart des Français se font mépriser en Asie, car rien ne blesse plus l’Asiatique que cette condescendante et égrillarde familiarité par quoi tant de nos compatriotes croient les honorer. Aussi ne m’occupai-je point de la bayadère en premier, et la regardai-je passer, comme les autres, sans en parler au brahme. Mais elle s’arrêta devant moi, s’inclina et porta la main droite à son front pour me saluer avec la correction indienne la plus marquée. Sans croire un seul instant que cette politesse de faveur distinguât en rien ma personne, je regardai l’adorante. Quelle ne fut pas ma surprise en reconnaissant la bayadère de la mairie, et combien elle était changée !

Celle que j’avais vue noire et chétive, vêtue avec un luxe de