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qu’un pâle reflet de Pierre Leroux, un disciple fanatique du même idéal, mais un disciple muet et ravi devant sa parole, toujours prêt à jeter au feu toutes ses œuvres, pour écrire, parler, penser, prier et agir sous son inspiration. Je ne suis que le vulgarisateur à la plume diligente et au cœur impressionnable, qui cherche à traduire dans des romans la philosophie du maître. Ôtez-vous donc de l’esprit que je suis un grand talent. Je ne suis rien du tout, qu’un croyant docile et pénétré.

« D’aucuns, comme on dit en Berry, prétendent que c’est l’amour qui fait ces miracles. L’amour de l’âme, je le veux bien, car, de la crinière du philosophe, je n’ai jamais songé à toucher un cheveu, et n’ai jamais eu plus de rapports avec elle qu’avec la barbe du Grand Turc.

« Je vous dis cela pour que vous sentiez bien que c’est un acte de foi sérieux, le plus sérieux de ma vie, et non l’engouement équivoque d’une petite dame pour son médecin ou son confesseur. »

D’autres témoignages, non moins caractéristiques, paraîtront-ils peut-être plus autorisés que celui de Mme Sand ?

Sainte-Beuve, qui regrettait que l’ancien Globe, — celui d’avant 1830, — fît à Pierre Leroux « une position bien inférieure à ses rares mérites et à sa portée d’esprit, » se plut à attirer l’attention de ses contemporains sur le philosophe, « une des natures de penseur, disait-il, les plus puissantes et les plus ubéreuses d’aujourd’hui. » C’est en 1833 que Sainte-Beuve traçait ces lignes. Lamartine, vers la même époque, se laissait aller à prédire « qu’un jour on lirait Pierre Leroux comme on lit le Contrat social. » Louis Blanc, dans son Histoire de dix ans, parue en 1843, mentionne Pierre Leroux à titre de « penseur éminent et de grand écrivain. » Le même auteur rappelait plus tard (en 1850) les titres de Leroux à la reconnaissance du prolétariat : « Ses écrits, ajoutait-il, l’ont fait depuis longtemps connaître à toute l’Europe comme un des plus vigoureux penseurs et des plus magnanimes philosophes de ce siècle. » Ce témoignage de l’écrivain socialiste acquiert une réelle valeur si on le rapproche de ce qu’Henri Heine écrivait à la Gazette d’Augsbourg en date du 2 juin 1842 : « Un des plus grands philosophes de France, affirmait Heine, est sans contredit Pierre Leroux. » Nous savons aussi que Stuart Mill, en Angleterre, le tenait en sérieuse estime.

Remarquez qu’en France même, avant que la Révolution de