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étrangers relevaient le vif mécontentement que cette parcimonie exagérée provoquait dans le public. Informé des bruits qu’on faisait courir sur son avarice, Henri IV, il est vrai, s’indignait. Une fois, de colère, il ordonna à Sully de publier, « pour faire taire les bavards, » la liste des dettes du royaume qu’il avait à payer et que l’on réglait peu à peu, tous les ans. Sully additionna plus de 307 millions, sans parler des frais des traités de la Ligue s’élevant à 32 millions. En ce qui concernait Marie de Médicis, Henri IV ne protestait pas moins contre les reproches qu’on lui adressait de ne pas faire assez pour elle. « Comment ! disait-il un jour à Sully, mais j’use de plus de dons et gratifications envers ma femme que jamais roi de France n’a fait envers la sienne, soit pour l’ordinaire de la maison, soit pour les bienfaits extraordinaires ! » Et il poursuivait : « Vous le savez bien, vous, puisque vous la favorisez et que votre femme lui sert de solliciteuse ! » Et il était vrai, en partie, qu’Henri IV accordait à la reine plus qu’on n’avait accordé avant lui à aucune autre reine de France ; mais c’était que les précédentes reines vivaient plus modestement et que celles qui avaient été magnifiques, Anne de Bretagne, Catherine de Médicis, avaient eu de riches dots, des biens personnels considérables qui leur permettaient de dépenser royalement. Quant à ce que Sully secondât la reine dans ses réclamations et que la femme du surintendant servit d’intermédiaire pour transmettre les demandes de la souveraine, l’affirmation eût bien surpris la reine si celle-ci en eût eu connaissance !

M. de Sully favorable ! Mais c’était, au contraire, l’humiliation de la princesse que d’avoir à solliciter le ministre désagréable, à le supplier comme elle était obligée de le faire ; à subir ses refus dénués de bonne grâce, presque de courtoisie ; à affronter son humeur acariâtre ! Ce gros homme farouche, au front chauve, à la grande barbe, au regard dur, qui vivait seul là-bas, à l’Arsenal, dans un cabinet sévère, orné des portraits austères de Luther et de Calvin, toujours travaillant, toujours en affaires, était insupportable à tout le monde ! Il recevait les gens sans se lever, sans cesser d’écrire, sans les faire asseoir, refusant sèchement ce qu’on lui demandait : « Mais c’est une bête ! » e una bestia ! s’écriait un ambassadeur italien sortant de chez lui outré. — « Il a la coutume ordinaire d’offenser tout le monde ! » disait le prince de Condé ; et un étranger écrivait : « Il est si superbe, si altier, si insolent et orgueilleux qu’il n’estime plus être humain ! » Personne ne venait