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quelques-uns, malgré une recherche un peu trop continue de l’humour, avaient de quoi faire prévoir l’admirable génie d’observation et de style qui allait se manifester bientôt dans Barry Lindon (1844) et dans la Foire aux Vanités (1847). Mais rien de tout cela, ni les Mémoires du valet de chambre James Peluche-jaune, ni Catherine, ni l’histoire du Grand Diamant des Hoggarty, — une des plus parfaites « nouvelles » qu’ait produites la littérature anglaise, — rien n’avait eu autant de succès qu’une série d’articles sur Paris, envoyés, en 1839, au Fraser’s Magazine, et recueillis en volume, l’année suivante, sous le nom de : Un livre d’esquisses parisiennes (The Paris Sketch-Book). Là seulement Thackeray avait tout à fait réussi à satisfaire le goût de ses compatriotes ; et je crois bien, d’ailleurs, que personne, parmi les critiques anglais, n’avait plus de titres que lui, ni plus de sérieux, à les entretenir avec compétence des choses de la littérature et de la vie françaises.

Né aux Indes, en 1811, élevé à Londres, à Cambridge, et à Weimar, Thackeray avait dix-neuf ans quand, pour la première fois, il était venu demeurer à Paris ; depuis lors, pas une année ne s’était passée sans qu’il y revint. Il avait été tour à tour correspondant parisien du National Standard, du Constitutional, du Fraser’s Magazine. A Paris il s’était marié ; à Paris demeurait sa mère ; et c’est à Paris qu’il avait conduit ses deux filles lorsque, en 1840, sa jeune femme s’était trouvée hors d’état de s’occuper d’elles. Habitué depuis l’enfance à comprendre le français, nourri des auteurs français du XVIIIe siècle presque autant que de Fielding, d’Addison, et de Swift, il était arrivé non seulement à parler notre langue, mais à l’écrire avec une justesse et une élégance remarquables, si l’on en juge, du moins, par deux passages, écrits en français, de son Livre d’Esquisses. De 1831 à 1840, il avait fréquenté tous les théâtres parisiens, visité assidûment nos musées et nos expositions ; il n’avait rien négligé pour se familiariser, aussi complètement que possible, avec les mœurs françaises. Et le fait est que je ne me souviens pas d’avoir rencontré, dans tout son Livre d’Esquisses, une seule de ces petites erreurs matérielles que commettent, à peu près invariablement, les Anglais même les mieux renseignés, toutes les fois qu’ils ont à traiter d’un sujet français. De telle sorte qu’il n’y avait certes pas à Londres, en 1841, un auteur plus « parisien » que celui que venaient d’engager MM. Chapman et Hall, pour rendre compte des nouveautés françaises dans la Foreign Quarterly Review.

Mais Thackeray n’a jamais pris la peine, plus tard, de réunir en volume les articles écrits par lui pour cette revue ; et, comme ces