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noirâtres montent comme des parois de prison, quelques grillages s’ouvrent sur de l’ombre, soupiraux de cave où nulle tête curieuse ne regarde jamais. Les toiles d’araignée y pendent, déchirées, lourdes comme de vieilles loques. Des femmes qui semblent drapées dans des suaires s’effacent en silence dans le renfoncement des portes closes pour vous laisser passer ; leurs voiles sont collés sur leur visage comme des bandelettes sur des faces de mortes, découvrant seulement les regards usés, creusés, vieilles et tristes lueurs qui barrent la blancheur mate du lin. Les jeunes femmes, les jeunes filles, à l’abri des curiosités demeurent derrière les grillages. Ce sont les vieilles mères qui vont aux souks et que l’on voit ainsi passer, la bouche bandée comme pour la mort. Et le silence ! Les babouches sans talons ou les pieds nus vont sans rythme, sans résonance. On croit voir passer des ombres, frôler des fantômes. On va, la tête baissée sur l’encolure de la mule, se garant des voûtes trop basses. On se croit à l’intérieur de la terre, dans ces couloirs de grottes où pénètre à grand-peine une lueur blafarde. Au sommet les hautes parois se rejoignent presque, font de la ruelle une petite rainure imperceptible, un chenal souterrain pour un ver de terre. C’est un royaume pour des aveugles : le matin, le midi, le soir, y sont également gris ; on se demande si, vraiment, au-dessus de ces grottes fermées, il y a le ciel lumineux, de flamme à cette heure, et, ce soir, constellé d’étoiles. Même la grande voix des eaux s’est éteinte, aucun bruit de nature, aucun souffle du beau printemps n’entre jamais ici. On entend seulement derrière les murs, ou par les ouvertures de soupiraux, des bourdonnemens nasillards. Des enfans apprennent le Coran. Si un seuil est ouvert, c’est le lieu public, la mosquée.

Des ombres blanches prosternées y continuent l’éternelle veillée de prières. Nous sommes vraiment au fond de la carapace : cela n’a plus rien de commun avec une ville ou un coin de ville. Impossible de rien imaginer du dessin primitif de ce réseau, et je m’émerveille que Hadj-Ali puisse me conduire. Je ne vois nulle différence entre une rainure et une autre. Elles semblent s’être faites, formées, enchevêtrées l’une sur l’autre, cellule à cellule, comme les raies d’une coquille qui n’a d’autre accident, d’autre raison d’être que l’adaptation aux goûts, aux habitudes de l’animal intérieur. Et l’animal intérieur veut se cacher et prier. Derrière ces parois de pierre, dans ces