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dont le début ne fixe le caractère général, dont l’ébauche ou l’amorce ne nous annonce ce qu’il sera dans sa plénitude et dans sa perfection.

Elle est admirable, la mélodie de Beethoven, quand, ayant fait choix d’un ton, fût-ce le plus simple, elle s’y attache et pour ainsi dire s’y enferme. Le ton d’ut naturel majeur domine le finale de l’Aurore et l’arietta de l’op. 111. Il répand sur l’un et sur l’autre son égale et pure clarté. Mais la mélodie de Beethoven est admirable encore quand, avec des soins et comme des précautions infinies, ou, tout au contraire, avec une soudaineté qui nous saisit, elle s’échappe et franchit quelques degrés de la gamme, cette échelle aussi mystérieuse et divine que celle que le patriarche vit en songe. Ainsi Beethoven nous fait goûter tour à tour le charme de ce qui passe et de ce qui demeure, la beauté des deux ordres ou des deux principes, celui de la modulation et celui de la tonalité.

Autant que dans son propre fonds et dans son être même, si ce n’est davantage, le caractère et la valeur éminente de la mélodie de Beethoven consiste dans son développement. Belle tout de suite, elle devient encore plus belle. Cette cause a des effets qui la dépassent et la débordent. Un thème de Beethoven possède une vertu sans pareille d’expansion et de progrès. Et voilà le don, le privilège qui fait de Beethoven, — du Beethoven même des sonates, — le premier de tous les symphonistes. Plus grand que Bach à cet égard par la passion, il est plus grand que Wagner, par l’ampleur et la liberté, parce que jamais les nécessités théâtrales de l’action et de la parole n’entravent ou ne réduisent l’évolution de sa pensée.

De cette pensée, il n’y a pas un fragment, pas une parcelle qui ne soit féconde. Ici tout est organique, animé ; tout possède la vie et la communique. Trois notes (comme dans le premier allegro de la sonate des Adieux ; moins encore : un accent, un ictus rythmique (sonate op. 90, en mi mineur), cet atome, ce rien suffit au musicien pour qu’il en tire un monde. Enfin, l’esprit ou le génie mélodique s’unissant toujours chez Beethoven à celui de la symphonie, il peut arriver (par exemple dans l’andante varié de la sonate op. 109) que la première variation d’un thème ou d’un chant soit un nouveau chant elle-même, similaire et supérieur à la fois, aussi mélodique que la mélodie originale, mais plus lyrique et plus sublime encore.

Quel génie a jamais, comme celui-là, concilié les contraires et frappé quelquefois ensemble les deux pôles de l’art ? En appellerons-nous du Beethoven qui développe sa pensée au Beethoven qui la brise ? Qui choisirait, — s’il fallait choisir, — entre la magnifique ordonnance