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Ainsi, en sept années d’habileté patiente, Irène, malgré quelques accès de précipitation, s’était faite toute-puissante. Elle avait donné satisfaction à l’Eglise et aux vues de sa propre piété ; surtout elle avait brisé sous ses pieds tout ce qui gênait son ambition. Et ses amis les dévots, fiers d’une telle souveraine, saluaient en elle pompeusement « l’impératrice soutien du Christ, celle dont le gouvernement, comme le nom, est un gage de paix » (χριτοφόρος Εἰρήνη, ἡ φερωνύμως βασιλεύσασα).


IV

Au moment même où Irène remportait cette victoire, au moment où son triomphe semblait le plus complet, son ambition était gravement menacée.

Constantin VI grandissait : il avait dix-sept ans. Entre le fils désireux de régner et la mère passionnément éprise de l’autorité suprême, le conflit était fatal, inévitable ; il allait dépasser en horreur tout ce qu’on peut imaginer. Aussi, pour expliquer cette lutte scélérate, les pieux historiens de l’époque n’ont-ils trouvé d’autre issue que de faire intervenir le diable et, soucieux d’excuser la très pieuse impératrice, ils ont le plus possible rejeté le mal qu’elle fit sur ses funestes conseillers. En fait, ces excuses ne sont guère admissibles : telle que nous connaissons Irène, il est certain qu’elle eut la claire conscience et la parfaite responsabilité de ses actes. Elle avait à sauvegarder l’œuvre qu’elle venait d’accomplir, à conserver le pouvoir qu’elle détenait : pour cela, elle ne recula ni devant la lutte, ni devant le crime.

Autoritaire et passionnée, Irène continuait toujours à traiter en enfant le grand garçon qu’était devenu son fils. Jadis, à l’aurore du règne, elle avait, par intérêt politique, négocié un projet de mariage entre Constantin VI et une fille de Charlemagne, et l’on avait vu, à Aix-la-Chapelle, un eunuque du palais chargé d’instruire la jeune Rothrude dans la langue et les usages de sa future patrie, et les savans de l’Académie palatine, fiers de l’alliance qui se préparait, s’étaient mis à l’envi à apprendre le grec. La politique délit ce que la politique avait fait. La paix rétablie avec Rome, l’accord avec les Francs parut à Irène moins nécessaire ; surtout elle redouta, dit-on, que le puissant roi Charles ne devînt un trop solide appui pour la faiblesse de son gendre, et ne l’aidât à se rendre le maître de la monarchie. Elle rompit