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de renards retroussent leur queue fourrée et allongent leur museau pointu. On n’entend que des claquemens de mains et le sifflement de l’air que les gens qui prient aspirent entre leurs lèvres. Le temple d’Inari, rebâti plusieurs fois, a été fondé vers le VIIIe siècle de notre ère. Voici douze cents ans que l’image du Renard se mire dans les âmes japonaises comme sur les petits étangs dont elle surplombe les rocailles.

Mais ce renard ne ressemble pas tout à fait au nôtre. Il est beaucoup plus fin. Ses prunelles ne tremblent pas d’une perpétuelle inquiétude. Ses maraudes ne l’ont point efflanqué. Il n’a jamais compromis la délicatesse de son museau à déterrer des charognes. Le sire de Maupertuis, dont notre Moyen Age s’est égayé, n’était qu’un malotru vorace et cauteleux en comparaison de ce petit magicien aux oreilles droites et aux yeux obliques. Ses roueries sentaient leur rusticité ; et que nos poètes l’aient promu à la dignité de Conseiller du Roi et de Camérier du Pape, c’est en vérité une honte pour notre ancienne civilisation. Et quelle médiocre aventure ! Son cousin d’Extrême-Orient a fait bien autrement fortune. Il ne s’est point oublié jusqu’à dévorer les poulardes de l’Eglise et à donner aux moines le scandale de sa gloutonnerie. Il n’a pas imaginé la farce grossière de feindre le mort et de ressusciter au milieu de ses funérailles. Ce sont là des manières de goujat, des inventions de cabotin. Mais doucement, lentement, sur la pointe des pattes et d’une queue caressante, il s’est substitué à la bonne déesse qui le promenait à travers les rizières. De marche en marche, il a gagné l’autel et s’y est installé. Les prêtres seraient trop honores qu’il acceptât des volailles. Il n’en a cure : il n’aime que le riz, le parfum des fleurs, le saké, le fumet de l’encens. Ce renard végétarien est d’humeur si bénigne que les enfans peuvent impunément lui casser le bout du nez. Et c’est aussi un renard très artiste et très philosophe. Il enseigne aux danseuses et aux musiciennes l’art des gestes qui enchaînent les cœurs et des airs qui tournent les têtes. Il apprend aux potiers, aux laqueurs, aux peintres, aux ciseleurs le secret des malins prodiges et des boîtes à surprise. Il inculque à tous cette idée que le talent ne va pas sans un peu de ruse, ni le bonheur, ni la bravoure, ni même la loyauté. On le courtise, on l’adule, on l’adore : il reçoit les marques de popularité avec une discrétion courtoise et silencieuse.