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congrégations enseignantes employés dans les écoles publiques ? On reprochait aux « Ignorantins » de dépendre à la fois de leur supérieur général et de l’autorité académique ; et voici que les instituteurs, au lendemain de leur embrigadement dans des organisations insurrectionnelles, auront, eux aussi, deux maîtres, d’une part le chef ouvrier qui dirigera leur conscience « prolétarienne ; » et d’autre part l’Etat qui paiera leur enseignement. Le discours de M. Buisson sur l’étreinte de l’instituteur et de la République est d’ores et déjà suranné, et certains jeunes maîtres concertent une autre étreinte, par laquelle s’uniraient et s’harmoniseraient l’enseignement primaire national et le socialisme révolutionnaire international.

Qu’adviendra-t-il de ces menaces ? Seront-elles conjurées demain, seront-elles au contraire sanctionnées après-demain ? Ce sont là des questions auxquelles nul ne peut répondre ; l’avenir seul, — un avenir que les événemens précipitent, — nous dira si les Amicales seront dans l’Etat français un ferment d’anarchie, ou si, tout au contraire, leur puissant développement apparaîtra comme un épisode nouveau du lent et sûr mouvement d’organisation qui tend à grouper ensemble les hommes du même métier. Nous ne pouvons ni ne devons trouver mauvais, — il convient de le dire bien haut, — que l’instituteur français, fatigué des influences locales ou de l’arbitraire préfectoral, veuille obtenir, pour la profession à laquelle il a donné sa vie, certaines garanties d’autonomie ; et nous appelons de nos vœux le jour où l’instituteur, recevant de quelque sous-préfet aventureux des « demandes de renseignemens » ou, pour mieux dire, de délation, pareilles à celles que M. de Benoist citait naguère à la tribune, pourra s’appuyer sur une Amicale solidement constituée, et, fort de cet appui, répudier énergiquement, sans péril pour sa carrière, ces exigences non moins incongrues qu’humiliantes. Les Amicales, sagement conduites, peuvent bénéficier de cette force et de cette respectabilité qui s’attachent naturellement au groupement professionnel ; elles peuvent aider l’instituteur à s’émanciper du despotisme politique et à restaurer, ainsi, la dignité de sa noble fonction. Mais si, dédaigneuses de ce rôle, elles s’abandonnent à la triste envie de jouer aux clubs politiques, ce sera grand malheur pour elles, pour l’école et pour la France. Le régime scolaire, que Jules Ferry voulait mettre au-dessus des orages de la politique, ne doit pas aboutir à subordonner