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LES
MILLE ET UNE NUITS

Les contes, qui ne paraissaient autrefois destinés qu’à occuper les veillées de l’adulte et à charmer l’imagination de l’enfant, sont devenus aujourd’hui un des sujets d’étude préférés des érudits. Et ce sujet, en apparence frivole, est en réalité fort délicat ; car le conte est changeant et mobile ; il varie selon les temps et les contrées, selon la mémoire et le goût de ceux qui le récitent ; il se développe, se ramifie, se transforme ; il reçoit des apports variés ; et, au moment où il nous parvient, il se présente à nous comme une résultante, comme une œuvre composite dont il est difficile de reconstituer l’histoire. Plusieurs contes furent de « grands voyageurs » ; des traces de leur passage se retrouvent disséminées à de grandes distances dans le temps et l’espace ; ils unissent d’un lien un peu frêle, il est vrai, mais charmant, des civilisations parfois très dissemblables ; et, si c’est une des joies que nous donne la science de l’histoire, quand nous l’appliquons aux philosophies et aux religions, que de nous faire sentir combien celles-ci se tiennent d’une contrée, d’une époque, d’une nation à une autre, et combien l’humanité est en définitive plus une qu’il ne paraît d’abord, cette joie nous est procurée avec plus d’intensité encore par la science des contes ou folklore. Sait-on, par exemple, que la légende de la forêt marchante de Macbeth a existé, sous une forme à peu près identique, dans l’Arabie heureuse du moyen âge ; et n’a-t-on pas lu une légende des Iroquois où un barde, pareil à l’Orphée grec, va redemander aux Enfers son épouse perdue[1] ?

  1. Voyez de Charencey, le Folklore dans les deux mondes, 1894 ; — Carra de Vaux, l’Abrégé des Merveilles, 1898. — Ces ouvrages font partie des Actes de la Société Philologique. Paris, Klincksieck.