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de vitesse sur les croiseurs des marines rivales fut arrêtée, et resta arrêtée jusqu’en 1902. Notre ancien Conseil d’amirauté, ressuscité avec ses membres presque au complet, fut convoqué à cet effet ; ses délibérations, qui furent extrêmement confuses, limitèrent finalement aux environs de huit mille tonnes le déplacement des croiseurs cuirassés, en réduisant de deux nœuds la vitesse et d’un millier de milles la distance franchissable attribuées au C3. Cela ne pouvait donner que le type Dupleix. En revanche, le nombre des croiseurs cuirassés fut accru bien au delà de toutes les anciennes prévisions.

J’aurais certes mauvaise grâce à critiquer trop vivement des bâtimens tels que le Montcalm, le Sully, la Marseillaise, pour lesquels l’opinion maritime est indulgente, et qui tous ont un peu dépassé les conditions de leur programme, tout en présentant, à l’état neuf, le disponible en poids assuré par une étude sincère. J’avouerai cependant que la nécessité de construire des croiseurs inférieurs à leurs rivaux, à la fois en puissance et en vitesse, ne m’a jamais paru démontrée. Naviguer isolément et sans soutien est fort dangereux pour de semblables navires. Se réunir en escadres secondaires, sous l’appui des cuirassés, pour soutenir l’escadre principale dans ses combats, comme l’a indiqué le rapport à l’appui d’un budget, est vraiment tirer un pauvre profit d’une vitesse de vingt et un nœuds. Dans la tactique des batailles, on obtiendra toujours de meilleurs services, à prix égal, d’une escadre de cuirassés type Patrie, éclairée par les croiseurs genre Jurien de la Gravière et par de simples coureurs de trois mille tonnes, que d’une escadre de croiseurs cuirassés. Dans les stations lointaines, la France, à supposer qu’elle puisse s’offrir le luxe d’une flotte spéciale, sera toujours représentée insuffisamment par tout navire jugé indigne de servir dans les mers d’Europe. Enfin et surtout, l’affaiblissement relatif, qui pour les navires vient vite avec l’âge, se chargera trop bien de nous pourvoir de navires lents et faibles, pour qu’il convienne d’en construire de neufs.

Le croiseur cuirassé se comprend bien, au contraire, dans le rôle de coureur isolé, maître des routes de la mer, partout où n’atteint pas le boulet d’une escadre ennemie. Les navires propres à capturer les paquebots et à échapper par leur vitesse à l’atteinte des croiseurs sont déjà un porte-respect sérieux vis-à-vis des puissances à grand commerce maritime : tel a été le rôle