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de son repentir, de sa ferveur royaliste et religieuse ; vous feriez erreur : la police n’a pas de tels attendrissemens. Le préfet transmit les pièces au ministre, lui annonçant qu’il continuerait à tenir en surveillance l’ancien conventionnel jusqu’à ce que sa décision lui fût parvenue. De son côté, Isnard demanda une audience à M. Decazes et se présenta au ministère porteur d’une longue note reproduisant avec plus de détails encore les explications déjà données par lui au préfet. Le cabinet du ministre ayant reconnu qu’il n’avait ni accepté de fonctions, ni signé l’Acte additionnel, restait à trancher la question relative à la Légion d’honneur. Il est certain que cette décoration avait flatté Isnard : « Depuis longtemps, — dit-il en un de ses mémoires justificatifs, — il s’en était rendu digne par ses combats contre l’anarchie… Tout cela pouvait bien valoir, après vingt ans d’oubli, quelques pouces de ruban. » Mais Waterloo était survenu assez tôt pour qu’il n’eût pas eu le temps de prêter le serment requis des nouveaux légionnaires, et cette circonstance le sauva. Le 7 mars 1816, le conseil des ministres décida que l’article 7 de la loi d’amnistie lui était inapplicable, et le préfet de police reçut l’ordre de lui délivrer le passeport qu’il réclamait pour retourner à Grasse.

Isnard partit quelques jours après. On ne sait si le temps favorisa son voyage. Mais on peut être sûr qu’il trouva les chemins bons, la nature riante, les hôtelleries confortables. La Providence l’avait toujours traité en enfant gâté. Si loin qu’il remontât dans son passé, il ne rencontrait que des marques de sa protection. Avant même d’entrer dans la vie publique, lorsqu’il voyageait en Provence pour ses affaires commerciales, il avait été, un jour, assailli par des voleurs et dangereusement blessé ; cependant il avait pu leur échapper, grâce à la vitesse de son cheval. En 1789, lorsqu’il s’était mis en tête de soulever ses concitoyens, il avait commis un crime de lèse-majesté, et le Parlement allait sans doute le lui faire payer cher : l’abolition des parlemens l’avait sauvé. En 1793, il avait été arrêté, illégalement, il est vrai ; mais comme beaucoup d’autres, comme Mme Roland, pour ne citer qu’elle ; et Mme Roland et les autres étaient montés à l’échafaud. Il n’était pas le seul alors qui eût pu fuir : mais combien avaient été repris et immolés ! Plus tard, sous le Directoire, la loi du sort l’avait exclu du Conseil des Cinq-Cents, à la veille du coup d’Etat de Fructidor, et lui avait ainsi épargné les misères et les souffrances de la déportation à