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réfugier quelque part en province, en Dauphiné, croit-on, chez des amis qui n’osèrent ou ne purent lui donner, pour abri, qu’une grotte parmi des rochers. C’est là qu’il semble avoir vécu jusqu’à la fin de la Terreur. Très ému des dangers auxquels il venait d’échapper, s’attendant à chaque instant à être repris et traîné au supplice, comme la plupart de ses amis ; la conscience inquiète des persécutions auxquelles il avait eu si grande part ; et qui, maintenant, se retournaient contre lui ; troublé surtout du mal qu’il avait dit de la religion, une grande révolution s’opéra alors chez ce grand révolutionnaire : il se convertit.

« Le décret, — dit-il dans l’opuscule où il raconta plus tard sa proscription, — le décret qui me mit hors la loi, sembla me mettre aussi hors des peines de la vie et m’introduire dans une existence nouvelle et plus réelle. Si je n’eusse jamais été proscrit, emporté comme tant d’autres par une sorte de tourbillon, j’aurais continué d’exister sans me connaître ; je serais mort sans savoir que j’avais vécu ; mon malheur m’a fait faire une ; pause dans le voyage de la vie, durant laquelle je me suis regardé et reconnu ; j’ai vu d’où je venais, où j’allais, le chemin que j’avais fait et celui qu’il me restait à parcourir, les faux sentiers que j’avais suivis et ceux qu’il me convenait de prendre pour arriver au vrai but.

« Il m’est impossible d’exprimer quelles jouissances m’ont procurées ce silence, ce recueillement absolu, cette possession continuelle de ma pensée, cette étude suivie de mon être, ces fruits de sagesse et d’instruction que je sentais éclore en moi, cet abandon de la terre, ce lointain d’où j’apercevais et jugeais les criminelles folies des hommes, cette adoration sincère et croissante de la vertu, cette élévation intellectuelle vers les objets grands et sublimes, et surtout vers l’auteur de la nature, ce culte libre et pur que je lui adressais sans cesse.

« Je me promenais seul dans un jardin, environ trois heures chaque nuit. Le spectacle de la voûte étoilée, le seul qui s’offrît à ma vue, fixait presque continuellement mes réflexions. Ah ! qu’elles étaient salutaires et ravissantes !… Qu’il est sublime ce livre sans cesse ouvert sur nos têtes, tracé de la propre main de l’être incréé, et dont chaque lettre est un astre ! Qu’il est heureux celui qui sait y lire ce que j’y voyais en traits de feu, en hiéroglyphes solaires : existence de Dieu, immortalité de l’âme, nécessité de la vertu. Retenu quelquefois, couché sur du gazon ou