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Ismène de qui les yeux ne quittent pas sa sœur, mais Antigone se plaint de son génie et nous fatigue avec sa grosse voix de rossignol.



Antigone et Ismène ne sont pas deux chants d’opéra qui se marient, l’un plus puissant, l’autre plus doux, pour mieux nous plaire, mais deux épreuves réalistes, à des échelles différentes, d’un type royal éternellement vrai. Leur conflit, c’est le chuchotement de deux feuilles que le vent du malheur froisse, distingue et fait sonner sur l’arbre familial.

Avant même que sa beauté intérieure éclate et qu’Antigone soit toute déclose par la mort, on reconnaît une aristocrate, une « eugénique, » comme elle dit d’elle-même et comme disent nos sociologues modernes. Elle prend conseil de ses morts, quand elle médite l’oreille inclinée vers son cœur.



Antigone est une pièce de guerre civile. On y voit les suprêmes soubresauts d’une famille de forcenés. À travers les siècles, de place en place, émergent, comme de hauts burgs dans le brouillard, des familles féodales, intraitables, démesurées. Qu’une telle famille soit dépossédée d’un trône ou d’un domaine, ses passions, à toutes les époques, se révéleront pareilles. Sur la tragédie thébaine éclatent les dures couleurs qui souillent le konak royal de Belgrade.



Je ne puis pas me détacher d’Antigone, quand elle s’en va, de nuit sur la plaine des morts… C’est que nous tous, nous avons à relever des morts sur les champs de bataille de l’histoire : des morts que d’autres morts également vénérables nous défendent d’honorer.

Antigone a peur, son regard est fixe, elle frôle les mânes goulus qui, n’ayant pas encore traversé le Styx, accourent, comme des chiens, se repaître des libations sur les tombes ; mais rien ne la détournera. C’est le propre d’une Antigone qu’exaltée, délirante, elle garde, comme une lanterne sous la tempête, toute sa vive intelligence pour accomplir sa décision.