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hambourgeois, tout occupé d’industrie, de négoce, des grandes opérations qui font sa richesse, l’état d’esprit général est foncièrement pacifique. Rien ne le contristerait plus qu’une brouille, un éclat qui romprait ses relations avec la France ; nul ne nourrit ici de mauvais sentimens à notre égard. Et comment les nourrirait-on, chez des hommes d’affaires, contre ces Français lucratifs, bons cliens, piètres concurrens ? Néanmoins, si l’on demandait à ces gens de marcher, le pli de la discipline et l’aiguillon du patriotisme seraient plus forts que toutes les répugnances ; ils marcheraient avec tristesse, en murmurant, comme les grognards de l’autre, mais ils marcheraient. Tous, même les socialistes ; leurs chefs l’ont clairement laissé entendre, au congrès d’Iéna.

Autre exemple des contradictions où l’Allemagne vit à l’aise. On sait que Hambourg envoie au Reichstag des représentans socialistes : M. Bebel est le plus fameux. Manifestation académique d’une doctrine, article d’exportation à l’usage de l’empire. La République reste conservatrice et traditionaliste chez elle ; son sénat et ses magistrats ne marquent aucun goût pour les nouveautés aventureuses. La plupart d’entre eux, à la vérité, doivent leur élection à un autre mode de suffrage ; et encore y a-t-il 80 représentans de la Burgerschaft, sur 160, élus par le suffrage universel et direct ; mais on peut conjecturer que l’esprit bourgeois de leur administration n’est pas trop antipathique aux masses ouvrières, qui nomment elles-mêmes des socialistes bourgeois, puisque ces masses ne tournent pas leurs forces contre les institutions locales. L’ordre est parfait, dans cet État où affluent de toute part les bras eu quête de travail. Depuis la grande grève de 1896, qui échoua misérablement, les conflits économiques sont rares sur le port. M. de Rousiers nous explique comment l’exagération doctrinale des programmes, chez les Sozialdemocrates, nuit à l’organisation syndicaliste et aux revendications pratiques qu’une politique moins abstraite pourrait faire triompher. — Je demande si M. Bebel jouit d’une grande popularité dans la ville qui se pare depuis longtemps de cette célébrité révolutionnaire : on me répond qu’il est fort, peu connu à Hambourg, qu’il y vient rarement, et que son influence n’irait pas jusqu’à faire nommer ou remercier un balayeur municipal. Encore un étonnement pour nous, cette impuissance d’un parlementaire en vue, désarmé pour les bons comme pour les