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JULIE DE LESPINASSE[1]

L’EXPIATION


I

L’année entière qui suit la disparition de Mora est pour Julie de Lespinasse une année de troubles et de tempêtes. Le choc qu’elle a reçu a singulièrement ébranlé sa constitution délicate, et ce corps frêle est tourmenté par les plus pénibles souffrances, vertiges, douleurs de tête, perpétuelles insomnies, dont d’énormes doses d’opium ne peuvent toujours triompher, spasmes nerveux et « convulsions, » qui la laissent presque « anéantie. » Cet état maladif est la cause et l’excuse des variations d’humeur dont sa volonté affaiblie n’est plus guère aujourd’hui maîtresse. Jamais elle ne fut ombrageuse, irritable à ce point. Tout la heurte, la blesse et la met en méfiance ; sa jalousie, constamment en éveil, épie toutes les actions, toutes les paroles et jusqu’aux silences de Guibert ; et ce sont, sur le moindre indice, des insinuations, des reproches, souvent des scènes de colère et de larmes, auxquelles succèdent sans transition des transports de tendresse et des effusions passionnées. « Tant de contradictions, tant de mouvemens contraires, sont vrais et s’expliquent par ces mots : Je vous aime[2]. » Cette phrase échappée de sa plume résume exactement cette période de sa vie. Il serait fastidieux de donner le détail de tant de violentes querelles, suivies

  1. Voyez la Revue des 1er et 15 avril, 15 juin, 1er juillet, 1er septembre et 15 octobre.
  2. Lettre du 13 novembre 1774. — Édition Asse.