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à les maintenir. Aujourd’hui[1] un constructeur américain qui met un navire sur cale paie ses approvisionnemens à raison de 45 francs par tonne plus cher que son concurrent anglais. À cette infériorité initiale il ajoute celle d’une main-d’œuvre plus élevée. « La grande prospérité qui a suivi l’élection de Mac Kinley à la présidence, dit M. Cramp, a fait hausser les salaires de 30 à 40 pour 100. On vous a dit souvent que l’ouvrier américain travaille plus que l’ouvrier anglais et que l’outillage américain permet de diminuer la main-d’œuvre. Cela est vrai, mais actuellement l’équilibre est rompu. Nos machines américaines sont adoptées dans tous les chantiers anglais, et nous payons des salaires presque doubles, de 50 à 100 pour 100 plus élevés. »

L’estimation globale de M. Cramp est vérifiée au surplus par le rapprochement des divers témoignages. En mettant de côté quelques appréciations exagérées, fondées sur l’examen de cas exceptionnels, c’est entre 30 et 50 pour 100 que les constructeurs, les ingénieurs et les armateurs fixent en général la différence de prix entre les chantiers anglais et les chantiers américains. Le rapport de la Commission adopte le chiffre de 40 pour 100[2].

Tous ceux qui analysent les causes de cette différence s’accordent également avec M. Cramp pour reconnaître que la principale de ces causes se trouve dans les frais de main-d’œuvre. Suivant les circonstances, la matière première présente de grandes variations de prix ; on peut citer telle époque, avant la guerre hispano-américaine, où les chantiers américains de l’Atlantique s’approvisionnaient presque aux mêmes conditions que les chantiers anglais ; mais, à aucune époque, ils n’ont pu travailler avec les mêmes salaires.

C’est, au surplus, la condition générale des industries américaines. Elles ont toutes à tenir compte des exigences de leurs ouvriers ; elles paient toutes des salaires plus élevés que les industries similaires européennes. Aussi le machinisme s’y est-il développé plus que partout ailleurs ; on avait plus d’intérêt qu’ailleurs à économiser la main-d’œuvre. Mais le machinisme n’est possible qu’avec une production uniforme, avec la répétition multipliée du même type. Pour l’appliquer à la construction navale, il faut avoir de très nombreuses commandes de navires semblables. Cela

  1. La déposition de M. Cramp est du 27 mai 1904. Voyez Hearings, t. I, p. 423 à 435.
  2. Voyez Report of the Commission, p. 7 et 8.