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Dès le mardi, lendemain de mon arrivée, je me suis mis à la besogne, et je ne l’ai quittée que pour aller deux fois à la ville voir Emile et Mme C. Je ferai demain le reste de mes visites.

Je me suis décidé pour Vaugoin, la ferme que vous connaissez, en bas du marais[1]. C’est très pittoresque ; et quoique mal éclairé par l’effet du soir que je choisis, j’espère avec de la patience en tirer bon parti. Je n’ai qu’un regret, c’est d’entreprendre trop tôt un tableau que je convoite depuis mon enfance et dont, avec plus d’habileté, je pourrais faire une chose excellente. Mais je n’ai pas trop le choix des motifs ; celui-ci est à ma portée ; que je le manque ou non, ce sera toujours une étude profitable. Je l’ai ébauché aujourd’hui ; il séchera demain, jour de repos. Vendredi, je l’entreprends sérieusement. J’ai travaillé tous ces jours-ci, pendant que mes souvenirs sont frais, à ma toile de Fontainebleau ; je crois qu’elle a repris tournure ; j’en ferai ce que je pourrai. J’ai fait en outre une étude peinte de la ville prise de la porte du jardin ; je n’en suis pas mécontent. Le ciel, pour mon premier, n’est pas mal réussi. Bref, je me sens assez d’énergie. Je suis régulièrement à huit heures du matin devant mon chevalet et ne le quitte qu’à la nuit. Je vais consacrer mes soirées au droit romain. J’achève ce soir pour vous et Armand mes lettres arriérées ; demain je me mets aux Institutes. Si, comme je l’espère, le temps me favorise et que mon ardeur se soutienne, j’espère réparer tout ce temps que j’ai si douloureusement gaspillé. Je suis d’ailleurs bien peu soutenu ; mon père, loin de l’approuver, critique amèrement tout ce que je fais. Si je n’avais pour moi la conscience du bien et l’autorité de mon maître, je renoncerais à peindre ; mais ne craignez pas pour moi ces influences, j’en souffre, voilà tout ; elles me stimulent d’autant plus que je ne puis compter que sur mes propres forces et sur mon propre sentiment. Je sens avec joie que mes perceptions s’aiguisent et s’agrandissent ; j’ai devant les objets extérieurs des visions plus nettes, plus fréquentes, plus précises qu’autrefois. J’ai déjà trouvé quatre ou cinq motifs d’études ou de dessins que je ferai quand le cœur m’y poussera, et qui, je crois, seront originaux, s’ils viennent à point. Je vous dis tout cela, mon ami, sans présomption, ni sans trop de sécurité, car bien qu’un

  1. Tableau qui figurera au Salon de 1847 : Une ferme aux environs de La Rochelle.