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un kopek. La combinaison de M. Roosevelt était ingénieuse et paraissait très sage. L’obstination des Russes qui semblait l’être beaucoup moins, l’a été finalement davantage. Le succès a tout justifié.

Nous ne parlons pas des autres exigences du Japon : on y était d’avance résigné à Saint-Pétersbourg. C’est par là que la Conférence de Portsmouth a commencé : aussi ses débuts ont-ils été heureux, et tout semblait y marcher à souhait, sans que personne toutefois se fît illusion sur la suite. On savait bien que les véritables difficultés se présenteraient plus tard. La Russie reconnaissait le protectorat du Japon sur la Corée, et la Mandchourie faisait, au moins nominalement, retour à la Chine. Quant à la péninsule de Liao-Toung, où est situé Port-Arthur, on se rappelle que la Russie l’occupait en vertu d’un bail emphytéotique qui n’était autre chose qu’une cession déguisée. Le Japon a pris la place de la Russie comme sous-loueur : c’est lui qui désormais bénéficiera du bail. En somme, tout ce qui était l’enjeu de la guerre avant qu’elle s’ouvrît reste entre les mains nippones. La Russie reflue vers le Nord. La Mandchourie, qui sera plus ou moins restituée à la Chine, la presqu’île de Liao-Toung, la Corée tombent sous la dépendance du Japon. Ce sont pour celui-ci d’assez grands avantages pour qu’il ait pu se montrer, sinon généreux, au moins modéré sur le reste. Il avait lui-même grand besoin de la paix, peut-être autant, peut-être plus que la Russie pour réaliser ses bénéfices et arrêter ses dépenses qui commencent à dépasser ses ressources. L’impression générale était que, si les hostilités continuaient, il ne tarderait pas à se trouver, sinon à bout de forces militaires, au moins à bout de forces financières. L’argent, qui est, dit-on, le nerf de la guerre, aurait fini par lui manquer. Cette impression était exacte, comme l’événement l’a prouvé : il serait difficile d’expliquer sans cela les concessions finales du Mikado. Elles se sont produites à la manière d’un coup de théâtre, au moment où l’univers attentif et anxieux commençait à désespérer. Il faut louer le Japon de cet acte de sagesse qui ne le diminue nullement, bien au contraire. Après les victoires qu’il avait remportées sur son adversaire, il lui restait à en remporter une sur lui-même. Il y a au Japon une opinion exaltée qui déjà se déchaîne contre les conditions de la paix ; mais il y a aussi une opinion réfléchie, prudente, vraiment politique, et c’est cette dernière qui aura le dessus. Comment pourrait-il en être autrement ? Comment les Japonais les plus exigeans fermeraient-ils longtemps les yeux sur les avantages obtenus ? Rarement dans l’histoire une guerre heureuse a été pour le vainqueur une aussi