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précédens. Quant à la limitation des forces maritimes de la Russie dans les mers jaunes, il y en avait sans doute ; mais la prétention qu’on y apercevait d’enchaîner définitivement l’avenir aux fatalités du présent devait paraître intolérable à la Russie. En lui enlevant quelques vaisseaux, en l’empêchant d’en envoyer d’autres dans ces mers lointaines, le Japon ne lui aurait pas porté un préjudice matériel bien considérable ; mais le préjudice moral n’en aurait été que plus grand. C’est là qu’il y avait une question d’honneur. La question de l’indemnité pécuniaire appartient à un autre ordre d’idées. Un vieux proverbe français dit que plaie d’argent n’est point mortelle. C’est une plaie qui guérit ; c’est une perte qui se répare. Mais à quoi bon insister ? La Russie conserve ses milliards ; le Japon en a fait son deuil ; tout est bien qui finit bien.

Dans son infatigable persévérance en faveur de la paix, le président Roosevelt avait essayé de résoudre la difficulté par une combinaison qui, sans doute, ne devait rien changer à la réalité des choses, mais qui semblait de nature à ménager les sentimens de la Russie. Elle partait de l’hypothèse que l’île Sakhaline était définitivement et totalement tombée au pouvoir du Japon. Après tout, cette île n’était pas essentiellement un territoire russe ; elle ne l’avait pas été toujours ; elle pouvait cesser de l’être. Elle est très froide, et ni les Japonais autrefois, ni les Russes depuis eux n’avaient su en faire grand’chose. Ce qu’elle vaut, personne ne le sait au juste. Elle contient — peut-être — des richesses minières : n’est-ce pas ce qu’on dit de tous les pays qu’on ne connaît pas, ou qu’on connaît mal ? En tous cas, elle n’a guère servi jusqu’à présent qu’à la pêche. Les Japonais, qui n’ont pas encore peuplé complètement l’île de Yéso parce que le climat en est trop rigoureux, ne devaient probablement pas tirer grand parti de l’île Sakhaline qui est encore plus au Nord. Ils n’ont intérêt qu’à en conserver la partie méridionale pour s’assurer la liberté du détroit qui sépare les deux îles. Mais en admettant que l’île Sakhaline appartînt aux Japonais par droit de conquête, M. Roosevelt s’est demandé si les Russes ne pouvaient pas leur en racheter la partie septentrionale. Combien ? Nous ne savons pas exactement le prix que les Japonais en auraient éventuellement demandé. M. Witte s’est contenté de dire, dans ses confidences à la presse, qu’il serait supérieur à deux milliards et demi, ce qui est beaucoup. Le gouvernement russe a vu dans le rachat qui lui était proposé un déguisement dissimulé de l’indemnité qu’il avait déjà refusé. Il a maintenu son refus et a déclaré que, sous une forme quelconque, il ne paierait pas