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quelque sorte courante, qu’il a choisi non pas des héros, mais de modestes personnages, parmi les gens du peuple et les paysans. Et nous ne ferions d’ailleurs nulle difficulté de reconnaître qu’il les a trop souvent enjolivés et travestis. Mais les titres, sinon toujours le style des premiers opéras-comiques, témoignent assez de cette tendance vers « la simple nature, » comme on disait alors. C’est Annette et Lubin ; c’est Rose et Colas, de Monsigny ; de Grétry, c’est Aucassin et Nicolette et l’Épreuve villageoise ; de Philidor, Blaise le Savetier et le Maréchal ferrant.

Un Grétry, qui, de son propre aveu, n’entendait rien aux « passions exaspérées », se flattait de bien connaître les autres, et de les rendre avec exactitude. Une partie de ses Essais traite de la psychologie musicale, dont son œuvre, dans la mesure du genre et sous les réserves qu’il comporte, offre de justes applications. Le Tableau parlant, nous l’avons dit, est, en musique, une de nos rares comédies de caractères, et le charme exquis de Richard Cœur de Lion consiste dans l’heureuse union de la poésie et de la vérité.

Grétry cherchait, voulait celle-ci partout et dans tout. C’est d’après elle seule qu’il entendait régler les rapports du sentiment avec la musique et de la musique avec les mots. « Le musicien, disait-il, doit d’abord déclamer juste. » Et le musicien de Richard y a souvent réussi, mais non pas toujours. La page musicalement la plus belle de la partition, l’immortelle romance, pèche gravement contre les règles élémentaires de la prosodie.


Une fièvre brûlante,

............…

Un regard de ma belle


Le temps fort tombe constamment sur la syllabe faible ou muette, et la musique accentue ainsi la parole à contresens. Mais si le mot est sacrifié, la mélodie emporte et sative tout, et c’est ici l’un des cas, assez rares, où la fausseté de la déclamation se perd dans la vérité supérieure du chant.

Cette vérité-là ne souffre dans Richard Cœur de Lion nulle atteinte. Rien n’y sent la convention ou l’artifice et la nature y parle également par la voix d’un monarque et par celle de quelques paysans.

Le ton des scènes villageoises ne saurait être plus juste, plus