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le 2 juillet. Il n’avait que 1 500 à 2 000 hommes. Le vice-roi et ses troupes s’étaient enfuis à Cordova, et les Anglais se mirent à piller et à rançonner la ville, avec la conscience qu’ils savent apporter à ce genre d’opérations. Ils embarquèrent ainsi sur leurs navires plus de 1 100 000 dollars, en numéraire seulement.

Au bout de quelques jours, les Espagnols s’aperçurent du petit nombre de leurs agresseurs ; un officier français, M. de Liniers, ranima leur courage, rassembla un millier d’hommes résolus, et aidé de la populace refoula les Anglais dans la rue principale. Mon frère, à qui M. de Liniers avait communiqué son plan, et qui depuis l’arrivée des ennemis croisait au large, vint audacieusement embosser sa goélette devant la rue en question, fit passer tous ses canons du même bord, et se mit à mitrailler les Anglais, de telle façon qu’ils durent mettre bas les armes. On leur permit de se rembarquer, et Buenos-Ayres en fut délivrée. Les habitans ne savaient comment témoigner à mon frère leur reconnaissance. Ils lui offrirent le grade de colonel qu’il n’accepta pas ; puis ils lui envoyèrent un mulet chargé de piastres fortes qu’il refusa également, pour bien faire ressortir la différence entre le désintéressement d’un corsaire français et l’âpreté des marins de Sa Majesté Britannique. Il n’emporta comme souvenir de cette expédition qu’un cercle à réflexion de Mendoza où fut gravée une dédicace à sa louange.

Pierre était depuis peu de retour à Ténériffe quand une occasion se présenta à lui de rendre d’importans services, et de rentrer dans la marine dans les conditions les plus avantageuses. L’Empereur avait confié à un officier hollandais, le général Daëndels, le gouvernement de l’île de Java avec les pouvoirs les plus étendus. Mais tout-puissant sur terre, il ne l’était pas sur mer, et il fallait que son délégué pût atteindre le siège lointain de son gouvernement. Le général parvint à Ténériffe, ayant eu grand’peine à échapper aux croisières anglaises ; il lui fallait de là atteindre Java, sans risquer une seule relâche, et tomber en quelque sorte à pic sur sa destination. Mon frère lui fut désigné comme le seul homme capable de résoudre ce problème de navigation, en même temps que par sa valeur il saurait rendre moins dangereuse une rencontre avec l’ennemi. On lui fit donc offrir une somme considérable qu’il refusa avec mépris, et il en fut même si mécontent qu’il ne voulut pas entendre parler d’un arrangement quelconque. Il fallut pour le décider que le général