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les avantages. La prédominance économique ne va pas sans l’hégénomie politique : « l’empire des affaires, » dont par le M. Andrew Carnegie, c’est aussi l’empire des soldats ; M. Roosevelt et l’empereur Guillaume il le savent bien, eux qui appellent si volontiers les argumens économiques au secours de leur éloquence lorsqu’il s’agit d’obtenir, du Congrès ou du Reichstag récalcitrans, le vote de nouveaux crédits pour la marine. Si l’Europe recule, si elle perd le contrôle des mers Jaunes, si elle y reconnaît la suprématie des armes et de la politique du Japon, comment espérerait-elle soutenir longtemps contre lui la bataille économique ? Comment les États-Unis et l’Australie prétendraient-ils encore interdire l’entrée chez eux des émigrans nippons et chinois ? La puissance qui a pris Port-Arthur et infligé aux armes européennes le premier échec grave qu’elles aient subi depuis des siècles, n’admettra pas longtemps que ses nationaux, ou même que les Chinois dont elle se fait la protectrice, restent soumis à un régime spécial d’exclusion et de défiance. Affranchir les « jaunes » de toute ingérence de l’étranger « blanc, » les faire triompher dans la lutte économique comme ils viennent de triompher dans la lutte militaire, les émanciper à tous les points de vue, leur assurer la suprématie dans les mers orientales et l’empire du Pacifique, tel sera, tel ne peut pas ne pas être, le programme d’action des Japonais victorieux. Ce plan, que leur situation leur impose comme une nécessité, ils en ont commencé la réalisation devant Port-Arthur ; s’ils restent maîtres d’en poursuivre l’achèvement, les intérêts de toutes les nations dans les mers d’Asie seront directement atteints ; leurs possessions seront compromises. La puissance militaire qui prendra en main la cause des travailleurs « jaunes » disposera d’un prétexte redoutable pour intervenir jusque dans les affaires intérieures des pays qui, comme l’Australie, le Cap, les États-Unis, sont envahis ou menacés de l’être par l’afflux des coolies. Quelles que puissent être les intentions pacifiques et les sages résolutions du Mikado et de ses conseillers, la force des choses et la pression de l’opinion seront plus puissantes que leur volonté même : la chute de Port-Arthur a sa logique dont on ne détournera pas les effets.

Partout où les races occidentales tiennent sous leur joug politique ou économique des populations indigènes, la chute de Port-Arthur, symbole des victoires du Japon, a trouvé un immense retentissement ; elle y a été saluée comme une revanche