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quelque repos pour son esprit inquiet, un baume pour son cœur malade. Peut-être aussi s’y mêla-t-il l’espoir de retrouver dans l’air natal un renouveau de force et de santé, qui pût exercer sur sa vue une heureuse influence. Toujours est-il qu’aux derniers jours d’août, le seigneur de Champrond vit, non sans quelque surprise, débarquer d’un carrosse cette sœur qui, depuis près de quarante ans, semblait avoir désappris le chemin du vieux domaine de sa famille.


VI

Les relations de la marquise avec sa parenté se sentent de l’inégalité de son humeur et des contradictions de sa nature. Lorsqu’il est question d’un des siens dans ses lettres à ses amis, c’est, la plupart du temps, d’un ton d’indifférence qui confine à l’hostilité : « J’ai un neveu à Paris, qui est le fils de M. de Vichy, mon frère aîné. Il loge chez mon frère le trésorier, je ne les vois presque pas… » Ailleurs : « J’ai chez moi mes neveux de Vichy ; ils sont dans mon antichambre ; j’ai la plus grande impatience de m’en débarrasser !… » L’épître à la duchesse de Luynes que nous lirons bientôt laisse percer un égal dédain pour son frère et pour sa belle-sœur. Et, d’autre part, la correspondance des Vichy donne à croire que ces sentimens sont payés de retour : « Ce sont des mégères, » dira crûment Gaspard de ses deux sœurs d’Aulan et du Deffand. Cependant certains documens récemment retrouvés permettent de supposer chez Mme du Deffand plus d’attachement à sa famille qu’elle ne voulait l’avouer à son entourage parisien ; on y lit des phrases de tendresse, dont sa plume est peu coutumière et dont l’accent paraît sincère : « Dites-leur bien, — mande-t-elle à l’abbé Denis, secrétaire des Vichy, — que je voudrais leur dévouer les derniers jours de ma vie ; c’est l’emploi que je voudrais en faire. Je me trouverais bien plus heureuse au milieu d’eux que dans un lieu où je ne tiens à personne et où rien ne m’intéresse. » S’adressant un autre jour à son neveu, le marquis de Vichy : « Si mon âge me le permettait, je ne balancerais pas à aller vous trouver… Je puis vous assurer que je ressens pour vous, non seulement les sentimens d’une tante, mais d’une tendre mère[1]. » La vérité de ce langage est

  1. Lettres d’octobre 1770 et de janvier 1775. Archives de Roanne.