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jeunesse, demeure assez peu édifiante, qui n’avait guère d’un couvent que le nom, et dont l’abbesse, Françoise d’Arbouze de Villemont, passait pour accorder tour à tour ses bonnes grâces à des adorateurs variés, depuis le marquis d’Argenson jusqu’au flûtiste Descoteaux. Parmi ces exemples fâcheux et dans cette atmosphère frivole, elle apprit peu de chose, d’après son propre témoignage ; ce fut elle-même, plus tard, qui refit son éducation. En revanche, elle perdit la foi, que l’éloquence de Massillon, — dépêché vers sa nièce par la duchesse de Luynes[1]pour convertir la précoce mécréante, — ne put ressusciter en cette âme d’enfant de dix ans. « Mon génie étonné trembla devant le sien, dira-t-elle au souvenir de cette singulière controverse ; ce ne fut pas à la force de ses raisons que je me soumis, mais à l’importance du raisonneur. »

Dans sa vingt et unième année, elle épousait le marquis du Deffand[2], de bonne naissance, mais pauvre sire, esprit médiocre et tracassier, « aux petits soins pour déplaire, » disait-elle de lui joliment. Des grilles du cloître, elle s’élançait d’un bond à la cour du Régent, dans l’intimité quotidienne de ses maîtresses et de ses favoris. Ce qu’il advint de ces fréquentations, il est superflu de le dire ; le mieux est d’imiter la réserve prudente qu’elle observa toujours sur cette phase de sa vie, et de jeter un voile discret sur des égaremens passagers, qui la laissèrent pleine de dégoût d’elle-même et de mépris pour les autres. Après dix ans de ces folies, lasse jusqu’à l’écœurement, elle résolut de se ranger et, pour ce faire, prit un double parti : elle se défit de son mari par une séparation en forme, et s’engagea dans une liaison sérieuse. C’était alors le refuge à la mode des femmes qui se sentaient du goût pour la vie régulière et la tranquillité d’un foyer quasi conjugal. Reconnaissons d’ailleurs qu’elle fit son choix en personne de tête et d’esprit et qu’elle put se targuer d’avoir eu la main heureuse.

En l’an 1730, où eut lieu cette évolution, le président Hénault avait quarante-cinq ans. De belle prestance, l’œil vif, le teint fleuri, la main fine et soignée, il était le type accompli du

  1. La comtesse de Vichy, mère de Mme du Deffand, était née Anne Brulart et sœur de la duchesse de Luynes, qui se trouvait par conséquent être la propre tante de Mme du Deffand.
  2. Jean-Baptiste-Jacques de La Lande, marquis du Deffand. Le mariage eu lieu le 2 août 1718.