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souffrance, il dit d’une voix haletante. « L’armée avait fait des prodiges, la panique l’a prise. Tout a été perdu… Ney s’est conduit comme un fou ; il m’a fait massacrer toute ma cavalerie… Je n’en puis plus… Il me faut deux heures de repos pour être à mes affaires. » Il porta la main à sa poitrine : « J’étouffe là… » Il ne devait pas se remettre à ses affaires. Il aurait pu encore, dans le premier moment, imposer son autorité à ses ministres, aux Chambres, réunir dans sa main toutes les forces de défense du pays. Il attendit. Il laissa passer l’heure. Il était résigné à l’abdication. Il n’avait même pas songé à introduire une clause précisant que l’abdication impliquait la reconnaissance de Napoléon II. Il eut encore des velléités de résistance. Elles duraient quelques heures. Ajoutons qu’il ne se crut pas le droit de reprendre le pouvoir à la faveur d’un mouvement populaire et, pour son seul intérêt personnel, de risquer encore une aventure. Il se berça quelque temps de l’espoir qu’il pourrait se faire une vie nouvelle aux États-Unis ; puis il s’hypnotisa sur cette idée où il trouvait de la grandeur, de s’en remettre à la générosité des. Anglais.

La dernière partie du récit de M. Houssaye est, à coup sûr, la plus douloureuse. Waterloo c’était la lutte ; ce ne sont plus maintenant que les spectacles d’humiliation ou les scènes de férocité. Fouché est le maître de la situation, et c’est tout dire. Les troupes des Alliés campent dans Paris, se répandent par flots toujours renouvelés dans les provinces. La foule dont nous n’avions vu jusqu’ici que les élans généreux et les enthousiasmes, se montre sous un autre aspect où, par malheur, elle n’est que trop reconnaissable : elle devient lâche et cruelle. La Terreur règne dans le Midi. Aux assassinats de Brune, de Ramel, commis par une foule demi-inconsciente répondent ces procès et ces exécutions néfastes : de Labédoyère, Ney, des frères Faucher. La peur a rendu le parti de la Cour impitoyable. L’historien de 1815 flétrit ces crimes avec une indignation, à laquelle on voudrait toutefois un correctif. Car ce à quoi il ne semble pas faire réflexion, c’est que si la France a été écrasée à Waterloo, si le sol a été envahi une seconde fois par l’étranger, et si l’ « anarchie paternelle » de 1814, s’est changée en la « Terreur blanche » de 1815, la cause initiale en est à ce prestigieux et funeste retour de l’Ile d’Elbe. Tout ici contribue à laisser l’impression d’un cauchemar ; et c’est bien celle que l’auteur lui-même a éprouvée en terminant l’histoire de cette année tragique « comparable aux pires époques de la Ligue et de la Guerre de Cent Ans. » Aussi a-t-il senti le besoin d’anticiper sur l’avenir, et de conclure sur une vision plus rassérénante. « Quelques années de paix, et