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arrive à son comble. Il me semble tout d’un coup que cette phrase et ma réponse s’accompagnaient d’émotions que je ne retrouve plus. C’est comme si tout un monde de sentimens parus allait reparaître, qui ne reparaît pas et qui est là cependant. Je suis pris, malgré moi, d’une angoisse analogue à celle qui m’étreint dans mon rêve le plus fréquent, qui consiste à voir, bougeant et vivant, un ami que, même dans mon sommeil, je sais être mort. Pareillement dans les instans de fausse reconnaissance, je sais que les mots échangés entre la personne avec qui je cause et moi n’ont jamais été échangés auparavant. Je sais surtout que mes relations émotives avec cette personne sont actuelles et je sens que ces mots ont déjà été dits. Je sens surtout qu’ils correspondent à une situation morale tout autre, plus ample, plus profonde, plus tragique toujours, que celle où je suis réellement. Cette dualité d’évidences inconciliables joue dans le champ de ma conscience, pendant un instant qui est d’ordinaire très court et qui me paraît infiniment long. Puis le phénomène cesse et j’ai physiquement la sensation que l’on a au sortir d’un accès d’absolue distraction. Quand j’étais enfant, il m’arrivait d’être distrait, en effet, de la conversation qui me produisait cette impression au point de ne pas entendre matériellement les deux ou trois phrases qui suivaient celle où j’avais été saisi par l’illusion. »

Il est impossible de mieux dépeindre cette invasion du champ du psychisme supérieur par des souvenirs inconsciens et ignorés du psychisme inférieur, la dualité des évidences inconciliables : la reconnaissance par O d’une sensation non encore éprouvée par lui, mais éprouvée par le même sujet dans son polygone.

À propos du même phénomène, M. Jules Lemaître a dit excellemment : « Notre vie intellectuelle est en grande partie inconsciente ; continuellement les objets font sur notre cerveau des impressions dont nous ne nous apercevons pas et qui s’y emmagasinent sans que nous en soyons avertis. »


À l’issue d’une distraction, d’un sommeil naturel ou surtout d’une hypnose ou d’une crise de somnambulisme, les centres supérieurs peuvent avoir une vraie réminiscence sans aucune sensation de reconnaissance, c’est-à-dire exprimer, comme neuves et personnelles, des idées qui procèdent directement d’impressions précédemment recueillies par le polygone désagrégé.

M. Louis Dumur a très curieusement décrit ce phénomène chez