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nostalgiques à entendre pleurer sa longue guitare, dans le silence de sa maison, dans l’éternel crépuscule de ses châssis de papier, devant ses rocailles verdies à l’ombre, ses arbres nains qui n’ont pas dû grandir depuis un siècle, son jardin de vieille poupée, où tombe un jour gris, entre des murs… Oh ! ce jardin de ma belle-mère, dont le seul aspect autrefois me donnait déjà le spleen au soleil d’août, qui dira sa mélancolie, sous le pâle éclairage de février !… Du fond de la pièce, où l’on est assis plus en pénombre, à écouter la petite musique de mystère échappée des cordes grêles, on aperçoit par la baie de la vérandah une sorte de site sauvage qui dès le premier coup d’œil vous déroute par quelque chose de pas au point, de pas naturel. Sont-ce de véritables vieux arbres, sur des rochers, un véritable lointain agreste vu à travers une lunette faussant les perspectives ? Cependant on dirait bien que cela est tout petit et tout près. Plutôt ne serait-ce pas un décor romantique, découpé et peint pour théâtre de marionnettes, sur lequel un réflecteur laisserait tomber de la lumière verdâtre ? Pas un coin du vrai ciel ne se découvre au-dessus de ce paysage enclos ; mais le mur du fond, tout en grisailles estompées, à mesure que le jour baisse, finit par n’avoir plus l’air d’un mur ; il joue les nuages lourds, les nuages en linceul, amoncelés au-dessus d’un monde étiolé par la vétusté et qui aurait perdu son soleil.

Tous les jardins de Nagasaki ne portent pas au spleen comme celui-là ; mais tous sont de patientes réductions de la nature, arbres nains, longuement torturés, et montagnes naines, avec des temples d’un pied de haut qui ont l’air centenaire. Comment concilier, dans l’âme japonaise, cette prédilection atavique pour tout ce qui est minuscule, mièvre, prétentieusement gentil, comment concilier cela avec ce goût transcendant de l’horrible, cette conception diabolique de la bataille qui a engendré les masques et les cornes des combattans, toutes les effrayantes figures des divinités et des guerriers ? Et comment faire marcher de pair cet excès de politesse, de saluts et de sourires, avec la morgue nationale et la haine orgueilleuse contre l’étranger ?…

Les petits thés de cinq heures chez ma belle-mère sont très courus et très sélects. Pendant que le chant de la guitare si tristement sautille, ou gémit à fendre l’âme, de cérémonieuses voisines arrivent sur la pointe du pied, des mousmés fragiles comme des statuettes de porcelaine ; sans bruit elles s’accroupissent à