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de la grande guerre (Librairie militaire Baudoin). Elle a été faite par le lieutenant-colonel de Vatry, et a été couronnée par l’Académie française.

C’est que l’époque, où cette théorie magistrale de la guerre parut en Allemagne, coïncida avec une longue période, de 1830 à 1850 et plus, pendant laquelle le cœur et l’esprit de la France étaient tout à l’Algérie. On suivait avec orgueil les progrès de nos troupes ; on se répétait les récits de leurs faits d’armes, les noms des chefs brillans, intrépides, qui les conduisaient dans les assauts des villes fortes, dans les batailles contre Abd-el-Kader : Bourmont, Clauzel, Valée, Bugeaud, le duc d’Aumale, Cavaignac, Changarnier, Lamoricière, Saint-Arnaud, Pélissier, Bosquet, Mac Mahon et tant d’autres étaient dans toutes les bouches.

Qui aurait osé, à cette époque, opposer à l’expérience de ces vaillans hommes de guerre les élucubrations d’un professeur, d’un rêveur allemand ; et prétendre que ce n’était pas dans les brillans combats contre les Arabes et les Kabyles, dans les marches sous le soleil ardent, à travers un pays inculte et sans routes frayées, qu’il fallait chercher les enseignemens de la grande guerre ; que c’était à l’Académie de Berlin ?

Puis sont intervenues les guerres de Crimée et d’Italie, facilitées au point de vue du commandement, la première par sa nature de guerre de siège, la seconde par la lenteur de nos adversaires. Puis une nouvelle expédition outre-mer, celle du Mexique.

Partout, nos troupes s’étaient conduites avec une vaillance incomparable. En Italie même, leur entrain et leur ardeur avaient remédié à certaines lacunes du commandement et décidé de la victoire.

Rien n’avait averti la nation et l’armée du danger qu’allait lui faire courir l’absence de toute doctrine de la grande guerre. Elles ne se doutaient pas que, tout en aguerrissant les troupes, la guerre coloniale n’est pas suffisante pour les préparer entièrement, et surtout pour préparer le commandement à la grande guerre.

Dans celle-ci, tout doit être sacrifié, au début, à la concentration à outrance des efforts pour joindre, et chercher à terrasser par la bataille, un adversaire égal en force, en arméniens, en valeur. Les questions de terrain, l’occupation de territoires ou de positions ne sont alors que d’ordre secondaire ; elles