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le moine-curé devint aussi le chef de la police municipale et de l’administration. Dans les villages, le véritable représentant de la couronne d’Espagne, ce fut le moine. Une telle confusion du domaine de l’État avec celui de l’Église ne pouvait qu’entraîner les plus fâcheuses conséquences ; il était fatal que les moines finissent par abuser de leurs privilèges, qu’ils missent leur autorité spirituelle au service du gouvernement, et leur autorité civile au service de l’orthodoxie. Les pires abus sortirent de là. D’ailleurs les moines se seraient-ils conduits comme des saints, qu’ils n’en auraient pas moins porté le poids de tous les abus que le gouvernement espagnol tolérait ou pratiquait : dépositaires de l’autorité réelle, les moines avaient aussi la réalité de la responsabilité ; plus le gouvernement multipliait les excès de pouvoir et exploitait les indigènes, plus il avait besoin des moines pour contenir le mécontentement de la population, plus la confusion des deux pouvoirs devenait complète et plus les moines devenaient l’objet de l’exécration générale. Représentans du système espagnol, ils étaient haïs pour tout le système, et il n’était pas un acte d’oppression, pas une condamnation politique, dont la réprobation ne retombât sur eux.

Dépositaires de l’autorité, les moines étaient aussi détenteurs d’une grande partie de la propriété et de la fortune publiques Les trois ordres (les Franciscains, en vertu de leurs constitutions, n’étant pas propriétaires), Augustins, Dominicains, Récollets, possédaient ensemble 420 000 acres de bonnes terres, dont 250 000 près de Manille, dans la province de Cavité, l’un des plus riches terroirs de Luçon. Ainsi une question agraire venait s’adjoindre à la question politique ; c’est ce qui explique que tous les troubles, depuis 1870, ont commencé dans la province de Cavité.

Quand éclata la Révolution de 1896, la rage populaire s’exerça surtout contre les moines : ils durent s’enfuir de leurs paroisses : 50 furent tués, 300, faits prisonniers, furent maltraités et outragés en prison. Le peuple ne cessait pas, pour cela, de fréquenter les églises et les sacremens ; mais il assouvissait ses haines politiques sur les représentans d’un régime abhorré.

C’est en face de cette situation que se trouvèrent les Américains : en politiques positifs, ils ne pouvaient pas négliger ce double fait : l’attachement de la population à la religion et sa haine contre les moines espagnols. Les États-Unis, le pays où les