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n’aurait-il pas été frappé de la singularité magnifique d’une ville où, depuis les façades peintes des maisons jusqu’aux costumes des femmes, s’étaient gardées vivantes, à travers deux siècles, les plus nobles traditions de la Renaissance italienne ? Les fontaines allégoriques d’Hubert Gerhardt et d’Adrien de Vries, les fresques de Licinio et de Ponzano, les peintures de Burgmair et d’Amberger, ces œuvres d’un italianisme si intense qu’aujourd’hui encore leur ensemble évoque en nous l’étrange impression d’une Vérone ou d’une Padoue allemande, je ne prétends point qu’il se soit arrêté à les admirer : mais il n’a pu s’empêcher de les voir, pendant qu’en compagnie de ses parens il visitait les églises d’Augsbourg, ou que, sa petite épée au côté, il trottinait gaiement par les rues et les places. Elles lui ont pénétré dans les yeux, à son insu, mais très profondément : le préparant déjà à concevoir un idéal de beauté plus hardi et plus large que celui qu’il rapportait du spectacle familier de sa ville natale.

Et il y a plus. C’est à Augsbourg aussi que, vraisemblablement, Mozart est pour la première fois entré en contact avec l’admirable école des compositeurs italiens de la génération précédente. Plusieurs ouvrages importans de cette école avaient en effet paru chez l’imprimeur et éditeur augsbourgeois J.-J. Lotter, celui-là même qui avait publié l’École du Violon de Léopold Mozart : je ne doute pas que Lotter les ait fait voir, ou peut-être offerts en cadeau, à l’enfant prodige. Il a dû lui offrir notamment un recueil de 30 Arias pour orgue et clavecin, publié chez lui, en 1756, par le maître padouan Giuseffo Antonio Paganelli : car c’est assez de parcourir la seule composition de ce maître qui nous soit accessible aujourd’hui, une sonate en fa majeur, rééditée récemment dans la collection Breitkopf, pour constater la vive ressemblance du style de Paganelli avec celui de la première sonate de Mozart, écrite à Bruxelles le 14 octobre 1763. Mélodiste ingénieux et souvent agréable, mais avec une abondance qui trahissait la hâte irréfléchie de l’improvisateur, ce Paganelli, à coup sûr, était bien loin de valoir les véritables maîtres de l’art italien de son temps, les Pescetti et les Galuppi, les Paradisi et les Martini : de telle sorte que son influence sur Mozart ne pouvait être que tout à fait passagère ; mais ce n’en est pas moins lui qui, le premier, et probablement à l’occasion de cette visite à Augsbourg, aura révélé à l’enfant un style musical dont chaque étape du voyage devait, dorénavant, lui