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Lavergne mit près de trois ans à mûrir son œuvre ; c’est seulement en 1854 qu’il publia l’Essai sur l’économie rurale en Angleterre, en Écosse et en Irlande.

Ce livre offrait le mérite assurément fort rare de joindre à une science profonde, sûre, éprouvée, la forme la plus attrayante. Ampère, bon juge en matière littéraire, définissait ainsi la manière de Lavergne : « Vous représentez pour moi la littérature agrandie, élargie au moins, de notre temps, c’est-à-dire l’art d’écrire appliqué aux sujets scientifiques. »

Le succès de cette étude magistrale fut aussi retentissant que durable ; car l’Essai sur l’économie rurale en Angleterre, en Écosse et en Irlande a été traduit dans presque toutes les langues de l’Europe et les Académies étrangères ont spontanément nommé Lavergne leur correspondant. Mais l’approbation la plus flatteuse à ses yeux fut celle de l’Académie des sciences morales et politiques, qui lui ouvrit ses rangs immédiatement après la publication de son ouvrage. Il fut élu, le 30 juin 1855, en remplacement de Léon Faucher.

L’année précédente, à la date du 15 mars 1854, il avait été nommé membre de la Société centrale d’agriculture de France. A partir de ce moment, la production de Lavergne ne s’arrêta plus jusqu’à l’époque où la politique le reprit.

C’est à Peyrusse qu’il a composé presque tous ses ouvrages. Il y restait sept mois de l’année. Comme tous les grands travailleurs, il s’était fait un genre de vie uniforme et réglé. La matinée, commencée presque avec le jour, était consacrée aux travaux intellectuels. Il ne revêtait pas comme Buffon un habit de cérémonie pour écrire, et son éloquence n’avait pas besoin de manchettes ; mais, des fenêtres de son cabinet de travail, il aimait à contempler le riant paysage qui se déroulait sous ses yeux, une immense prairie légèrement ondulée où ses vaches bretonnes mettaient une note blanche et noire sur le fond éclatant de la verdure ; à l’horizon, la masse sombre de ses imposantes futaies ; et, sur le côté, ourlant la prairie de son onde écumeuse, le ruban argenté du Taurion. C’était un lieu véritablement inspirateur ; les Bénédictins, si épris du pittoresque, auraient pu le choisir pour y placer leurs cellules.

L’après-midi était réservé aux courses dans la campagne et à la visite des fermiers.

C’est dans cette retraite studieuse qu’il passa les dix-huit