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cette supériorité dont furent empreints tous ses actes. Sans négliger de s’éclairer des conseils d’artistes éminens, entre autres de Lebrun et de Perrault, il se réserva en toutes choses la décision. Il en fut ainsi pour l’Académie de France à Rome.

Charles Errard, peintre du Roi, dont Colbert fit choix pour l’organiser, était un administrateur habile, capable de seconder ses projets, mais surtout de se conformer entièrement à ses instructions et de lui rendre un compte exact de leur exécution.

Plus d’une fois, même avant cette époque, il avait été question de la création, à Rome, d’une École française de peinture, de sculpture et d’architecture ; récemment, on avait parlé de l’illustre Poussin pour la diriger et, sous Richelieu, le surintendant des bâti mens, Sublet des Noyers, avait envoyé en Italie Fréart de Chanteloup, son premier commis, et le frère de ce dernier, Fréart, abbé de Chambray, ami de Poussin, non seulement pour ramener en France d’habiles artistes, mais pour recueillir « les plus excellens antiques d’architecture et de sculpture. » Gratifié d’une pension du roi, Charles Errard, à la fois peintre et architecte, comme l’avait été son père, avait, au temps de sa jeunesse, résidé à Rome pendant seize années consécutives. Il s’y était pénétré, pour les monumens et les chefs-d’œuvre de la Ville Eternelle, d’une admiration profonde. Dès ce moment, il avait estimé que, nulle part plus qu’à Rome, un artiste ne peut trouver le complément d’éducation de l’esprit et du goût qui lui est indispensable, s’il aspire à se rapprocher des maîtres. C’est ce sentiment persistant dont, bien des années après, on retrouve l’expression dans une lettre adressée par Errard à Colbert, à l’occasion du voyage en Italie du sculpteur Girardon, le futur auteur de l’Enlèvement de Proserpine : « Je crois, écrivait Errard, qu’il aura beaucoup profité, ayant vu et examiné les belles choses avec plaisir et étonnement ; ces grands et magnifiques restes de l’antique Rome lui auront assurément inspiré de haultes pensées. Le voïant dans la passion, si Votre Excellence lui commande de mettre la main à l’œuvre et de s’efforcer d’en produire quelqu’une, je lui ai conseillé de remarquer, dans ces fragmens an- tiques, que le tout et les parties sont grandes et simples, et que ces beaux esprits ont fui la confusion des choses petites et tristes, tant dans leurs ouvrages d’architecture que de sculpture, ce qui leur donne la grandeur, netteté et harmonie, avec la résistance aux injures du temps, et qui diminue beaucoup la dépense, ces