Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/247

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
VERS ISPAHAN

TROISIÈME PARTIE[1]

Vendredi 4 mai. — Départ à l’aube pure et froide, à travers les grandes fleurs blanches des pavots, qui sont tout humides de la rosée de Mai. Pour la première fois depuis Chiraz, mes Persans ont mis leur burnous et enfoncé jusqu’aux oreilles leur bonnet de Mage.

Ayant retraversé la plaine, nous montons en passant faire nos adieux aux grands palais du silence. Mais la lumière du matin, qui ne manque jamais d’accentuer toutes les vétustés, toutes les décrépitudes, nous montre, plus anéanties que la veille, les splendeurs de Darius et de Xercès ; plus détruits, les majestueux escaliers ; plus lamentable, par terre, la jonchée des colonnes. Seuls, les étonnans bas-reliefs, en ce silex gris que n’éraillent point les siècles, supportent sans broncher l’éclairage du soleil levant ; princes aux barbes bouclées, guerriers ou prêtres, en pleine lumière crue, luisent d’un poli aussi neuf que le jour où parut comme un ouragan la horde macédonienne.

En foulant ce vieux sol de mystère, mon pied heurte un morceau de bois à demi enfoui, que je fais dégager pour le voir ; c’est un fragment de quelque poutre qui a dû être énorme, en cèdre indestructible du Liban, et, — il n’y a pas à en douter, — cela vient de la charpente de Darius... Je le soulève et le retourne. Un des côtés est noirci, s’émiette carbonisé : le

  1. Voyez la Revue'' des 15 décembre et du 1er janvier.