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LETTRES DE H. TAINE[1]
À F. GUIZOT ET À SA FAMILLE

PREMIERE PARTIE


A Monsieur Cornélis de Witt[2].


Paris, août 1848.

Mon cher de Witt,

Merci de ta bonne et aimable lettre. Les marques d’amitié sont toujours douces ; mais de ta part elles le sont plus que d’aucune autre. Dorénavant, ne me les épargne pas, et écris-moi le plus souvent que tu pourras.

Voilà donc que tu me fais des confidences ! Tu déclares que tu as eu le spleen cette année ; tu ajoutes même que ta compagnie a été souverainement désagréable. Sur ma parole, tu mens, mon ami, et tu te donnes des torts que tu n’as pas. Une bonne preuve, c’est que je ne me suis jamais trouvé si heureux qu’avec toi, et que j’ai été te voir le plus que j’ai pu. Si tu avais été un ours, ou un Anglais, comme tu le prétends, j’aurais été moins souvent interrompre ta mélancolie, et déranger ton chagrin.

  1. Ces lettres, dont nous devons la communication à l’obligeance de Mme Taine, sont extraites, partie du second volume de la Correspondance de Taine, qui paraîtra prochainement à la librairie Hachette, et partie du troisième, dont la publication aura lieu à une date ultérieure.
  2. M. Cornélis de Witt avait été le condisciple de M. Taine au lycée Bourbon ; il lui était uni d’une très étroite amitié. Après son mariage avec Mme Guizot, il s’empressa de présenter son jeune ami à M. Guizot, qui lui fit le meilleur accueil. M. Guillaume Guizot, plus jeune que son beau-frère de quelques années, entra bientôt en tiers dans cette affectueuse camaraderie, comme on le verra en lisant les lettres qui suivent.