Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/29

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Mais c’est très mal à lui de dire que je lui donne pour rôle les post-scriptum des lettres et la résistance à Paris : voilà son sourire narquois (comme si souvent à dîner), sous son grand front mélancolique !

« Michelet a vu M. Monnard à Lucerne, mais il vous aura manqués et probablement M. Vulliemin.

« On est ici dans le Te Deum pour le Comte de Paris, et la grande nouvelle est le discours aigre-doux de l’archevêque à Notre-Dame. Vous voyez à quel point la France est calme et repue ; elle cancane comme un rentier après dîner.

« J’ai vu l’autre jour l’atelier de David le statuaire ; je lui ai parlé de Davel, je lui ferai lire le morceau d’Olivier. Oh ! que cet atelier vous irait avoir, mes chers amis ! quel temple ! Gutenberg, le dernier né, est debout (pour Strasbourg), laissant échapper sa première feuille imprimée de la Bible, où l’on lit : Et la lumière fut. Grande idée, n’est-ce pas ?

« Mme de Tascher est toujours à la campagne et je n’en ai pas de nouvelles, Mme de Castries à Dieppe[1]. Mme Récamier est ici

  1. Sainte-Beuve lui a consacré les lignes suivantes dans l’appendice de son roman de Volupté :
    «… Cette ravissante personne, née de Maillé, mariée au marquis de Castries, ironique et froid, avait eu de grands succès de monde ; et sans être très jolie de figure, ornée de ses cheveux d’un blond ardent, souple de taille, et surtout d’une vivacité, d’une grâce de mouvemens incomparable, rien n’égalait son effet, disait-on, lorsqu’elle faisait son entrée un peu tard, sur l’heure de minuit, dans un bal de la cour. Elle s’attacha bientôt d’une passion sérieuse à M. de Metternich, fils du prince ministre (d’un premier lit) ; elle l’accompagna en Italie, et lorsqu’il mourut de la poitrine, elle le soigna jusque dans l’agonie avec un dévouement sans bornes. Je possède la croix d’argent qu’il avait baisée de ses lèvres mourantes et qu’elle voulut bien me confier dans un jour d’effusion, au moment d’un départ pour un voyage. Revenue d’Italie en France à demi paralysée des membres inférieurs, mais ayant conservé la grâce des gestes, et avec un goût très vif de l’esprit, elle se lia avec Balzac (qui l’a mise dans ses romans sous le nom de Duchesse de Langeais), avec Janin. Puis le roman de Volupté, qui lui avait plu, commença d’elle à moi une liaison qui devint vite une tendre amitié : mes Poésies de ce temps-là en offrent plus d’un témoignage… »