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d’artillerie, rien ne fut négligé pour relever la majesté de la puissance terrible dont ils étaient les représentais. Dans les voitures escortées de cavaliers, où ils étaient assis, on se les montrait : Philibert Simond enfant du pays, qu’on y avait déjà vu et qui répondait par des sourires protecteurs aux saluts de ses créatures rangées sur son passage ; Grégoire évêque constitutionnel de Blois, l’un des premiers prêtres de France qui se fût soumis à la Constitution civile du clergé et qui longtemps encore devait faire parler de lui ; l’ancien juge de paix Jagot accidentellement tiré de son obscurité où il devait bientôt disparaître, et enfin le plus populaire et le plus beau des quatre, Hérault de Séchelles, « un grand brun » élégant d’attitude et de gestes, resplendissant de grâce hautaine, sous son chapeau empanaché et dans son uniforme de conventionnel, militarisé par le sabre qu’il tenait entre ses genoux.

La tradition et la vraisemblance sont d’accord pour établir que la première rencontre des dames de Bellegarde avec lui eut lieu ce jour-là. Elles n’étaient pas femmes à se priver de l’extraordinaire spectacle qu’offrait en ces circonstances la ville de Chambéry, et à ne pas témoigner de leur zèle révolutionnaire. Elles assistèrent, assurément, de quelque place d’honneur, en compagnie de notables citoyennes, à l’imposant défilé durant lequel la population savoyarde, soit de son plein gré, soit à contre-cœur, acclamait les délégués de la Convention ; elles furent présentes à la messe d’actions de grâces que, le lendemain, Grégoire célébra dans la cathédrale sans que l’évêque du diocèse osât protester.

Les relations qui s’ensuivirent devinrent rapidement confiantes, lorsque dans ces jeunes femmes, Françaises de fraîche date et ardentes patriotes, l’aristocrate Séchelles eut reconnu ses égales par la naissance et l’éducation. Elles parlaient son langage, partageaient ses goûts. Il pouvait les fréquenter sans se compromettre. La beauté de la ci-devant comtesse acheva de le fixer dans leur maison. Il y conduisit son collègue Philibert Simond. Elles accueillirent d’autant mieux ces omnipotens personnages que leurs assiduités les flattaient et qu’ayant tout à craindre du régime nouveau qui se fondait en Savoie, elles étaient intéressées à s’assurer leur protection. Mais, en les accueillant, elles brisaient le lien qui les attachait encore à leur milieu social. Dès lors, elles furent considérées comme ayant pris parti pour les persécuteurs contre les victimes.