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intentions et ne peux être rendue responsable de son absence.

La réponse fut jugée satisfaisante. On effaça de la liste provisoire des émigrés son nom à elle et celui de sa sœur, tandis qu’on y maintenait celui du « nommé Bellegarde, » mesure qui d’ailleurs ne l’atteignait pas elle-même dans ses biens, puisqu’elle pouvait démontrer que la terre des Marches et l’hôtel de Chambéry avaient constitué sa dot sous réserve de ce qui revenait à sa sœur rentrée avec elle. Dès ce moment, elle était libre avec la perspective bien invraisemblable de ne cesser de l’être que si, la Savoie redevenant piémontaise, son mari recouvrait la faculté d’y reparaître et d’y résider.

La voilà donc délivrée de toute tutelle, de toute surveillance, dépourvue de conseils et d’appui, jetée dans la tourmente qui commence à souffler sur la Savoie. Elle a vingt ans, elle est belle, ardente, passionnée ; tout ce qui se passe autour d’elle l’attire, l’intéresse et la retient. Légère comme l’oiseau, cervelle de linotte, aussi facile à influencer qu’elle est séduisante, elle deviendra fatalement la proie de ceux qui, par des hommages rendus à sa beauté, captiveront son imagination capricieuse et s’ouvriront le chemin de son cœur crédule et mobile.

Dans l’ivresse qui l’emporte, elle entraîne sa sœur, dont les seize ans ne sont une protection ni pour l’une ni pour l’autre. Sans posséder un charme égal au sien, Aurore dégage le frais parfum du fruit vert, et revêt l’attrait de la fleur en train d’éclore. Maintenant, le démon qui les perdra peut apparaître ; elles l’attendent. Tout concourt à lui ouvrir l’accès de la place, non seulement les dispositions naturelles qu’on s’est efforcé d’analyser et celles qui résultent de l’abandon auquel les jeunes femmes sont livrées, mais aussi le prestige que leur assure, même dans la société nouvelle où les circonstances les ont conduites, leur qualité de dames nobles, ralliées à la République, enthousiastes de la France et toutes prêtes à sacrifier au régime nouveau, à dépenser en fêtes, en plaisirs, en assistance donnée aux œuvres républicaines, leurs revenus qu’on sait considérables.

Elles en étaient à cette première étape de leur métamorphose lorsque arrivèrent à Chambéry les commissaires chargés par la Convention d’organiser le département du Mont-Blanc. C’était le 14 décembre. Malgré la rigueur de la saison, leur entrée fut triomphale. Foule immense venue à leur rencontre, déploiement de troupes, sonneries de toutes les cloches de la ville, salves