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défendre ne la défendirent pas. A la première attaque, ils lâchèrent pied, se laissant déloger, par quelques coups de feu, des redoutes qu’abordaient les Français. Successivement ceux-ci s’en emparèrent et les détruisirent. À sept heures du matin, le drapeau tricolore flottait sur Apremont, sur Notre-Dame de Myans et sur Bellegarde d’où le général de Lazari, qui y avait couché, s’était enfui précipitamment en donnant à toutes ses forces l’ordre de se replier sur le Piémont. Le drapeau français flottait aussi sur le château des Marches qui n’avait pas été plus disputé que les autres. Le même jour, Montesquiou reçu, en l’absence des maîtres, par le régisseur, y établissait son quartier général en ayant soin de faire camper en avant du château deux brigades d’infanterie appuyées par vingt canons, qui rendirent définitive cette facile victoire en coupant en deux tronçons l’armée piémontaise débandée.

Il s’attendait à un retour offensif de l’ennemi. Il n’en fut rien, Le général de Lazari ne tenta aucun effort pour reconquérir les positions qu’il avait perdues. Après avoir commis la faute de se laisser surprendre, il battait en retraite, poussé par ses troupes saisies de panique, faisant sauter ponts et poudrières, abandonnant derrière lui ses équipages, ceux de ses officiers, une partie de son artillerie et de ses fusils, cent mille cartouches, trois mille sacs de grains, et désertant si bien le pays, qu’à la date du 4 octobre, il ne se trouvait plus un soldat piémontais en Savoie. À ce moment, tout fut dit. La Savoie était conquise et on peut dire qu’elle l’était sans combat.

Quelques jours après, le marquis Henry Costa, acteur et témoin de cette déroute, écrivait à sa femme : « La guerre, de la part de la Savoie, si follement entreprise et si lâchement soutenue, perdra les rois dans l’esprit des peuples et notre misérable breloque de Savoie dédaignée, abandonnée par tout le monde, restera en proie aux malins esprits comme une masure envahie par les spectres. »

Par malheur pour le pays du vaillant gentilhomme dont la colère et le désespoir s’exhalaient en ces termes, ce n’étaient pas des spectres qui venaient d’en prendre possession, mais des êtres vivans, des êtres en chair et en os, soldats prestigieux en lesquels les Savoyards saluaient des amis, n’attendant que des bienfaits de la nation dont ces conquérans portaient le drapeau, mais derrière qui allait bientôt apparaître le terrorisme dans la