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jour dans la masse confuse des événemens que d’en utiliser les péripéties pour imprimer plus d’exactitude au tableau de mœurs qu’il a eu l’ambition de peindre.


I

Bien que l’histoire générale ne doive être rappelée en ses grandes lignes dans les pages qui suivent qu’afin d’en rendre plus intelligibles les révélations, il est indispensable de jeter, en les commençant, un rapide coup d’œil sur la Savoie, premier théâtre des événemens que nous entreprenons de raconter, telle qu’elle existait en 1790, à la veille de son annexion à la France. Longtemps soumise au Piémont, demeurée fidèle à la maison royale dont l’héritier Victor-Amédée III régnait à Turin, cette province s’ouvrait déjà à l’esprit philosophique qui était en train de transformer le monde. Les idées nouvelles n’avaient pas encore pénétré dans les petites communes. En revanche, elles faisaient leur chemin dans les villes. Partout où existait un centre intellectuel, elles disposaient les habitans à saluer d’un élan de sympathie la révolution de France, à souhaiter pour leur propre pays quelques-unes des grandes réformes qui s’accomplissaient chez leurs voisins. Mais, tandis que les uns n’y voyaient qu’un moyen de se procurer plus de bien-être et de liberté, l’exemple contagieux donné par la France suggérait à d’autres la pensée de secouer le joug du Piémont. Soit qu’ils rêvassent de faire de la Savoie un département français, soit qu’ils eussent imaginé d’en former un petit État autonome et indépendant, c’est de la Révolution qu’ils attendaient des armes pour atteindre leur but.

Ce n’est pas uniquement les circonstances extérieures qui favorisaient leurs visées, mais aussi l’état économique et social du pays où ils résidaient. Si les principes au nom desquels cette révolution s’accomplissait avaient franchi leurs montagnes, il n’en était pas de même de ce qu’ils considéraient comme ses bienfaits. Sans doute, en Savoie comme en France les servitudes féodales n’existaient plus. Les seigneurs avaient perdu toute autorité sur leurs terres. De leurs anciens privilèges, ils ne conservaient que le pouvoir de nommer des juges. Mais ceux-ci, outre que la plupart des seigneuries appartenaient au Roi, étaient l’objet du plus sévère contrôle de la part des juges mages et du Sénat de Chambéry, « véritable parlement