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tandis qu’il aurait eu une excellente occasion de faire poser son modèle pendant son récent séjour dans sa ville natale.

Ici se placent les relations de Watteau avec le peintre Lafosse. « Dans la maison de Crozat demeurait, entre autres artistes français, M. de Lafosse, qui s’occupait à peindre le plafond de la Grande Galerie. Avec tous ces artistes Watteau s’entretenait quotidiennement, s’enquérant de leurs méthodes, étudiant leurs esquisses et leurs dessins. Pour prouver son admiration au jeune artiste, M. de Lafosse, qui mourut en 1716, lui avait donné commission de dessiner le portrait de sa nièce, Mlle d’Argenon. Ce dessin est aujourd’hui au Louvre. » Mais le vieux Lafosse avait, apparemment, la mémoire courte : car, plus tard, nous le voyons redécouvrant le talent de Watteau, et cela de la façon la plus romanesque. En 1717 Watteau, désirant avoir une pension du roi pour aller en Italie, — le même Watteau qui, depuis bien des années déjà, avait vu « marquises et ballerines se presser dans son atelier, » — avait imaginé de porter deux tableaux à l’Académie, et de les y déposer dans un corridor. « Ces tableaux attirèrent l’attention de tous les passans. Parmi ceux-ci se trouvait M. de Lafosse (« mort en 1716), » qui était regardé par ses contemporains presque comme l’égal de Rubens, de Van Dyck et de Titien. Lafosse demanda de qui étaient, les tableaux. » Et quand le domestique lui eut répondu qu’ils étaient d’un jeune peintre nommé Watteau, qui souhaitait d’avoir une pension pour aller en Italie, Lafosse, « ayant fait comparaître devant lui le jeune homme, » lui déclara qu’au lieu d’aller à Rome, il ferait mieux de se présenter à l’Académie. C’est ainsi que Watteau serait devenu académicien, à en croire une légende que personne, jamais, n’a prise bien au sérieux, mais qui apparaît tout à fait fantastique si l’on admet d’abord que Lafosse, précédemment, a déjà poussé son admiration pour le talent de Watteau jusqu’à « lui commander un portrait de sa nièce[1]. »

Poursuivant à Paris sa brillante carrière mondaine, Watteau, — le plus sauvage et le plus solitaire des hommes, — se gagne les bonnes grâces de Mme de Parabère, « dont la beauté avait grandement fasciné Louis XV. » Louis XV, déjà, en 1715 ! De 1717 date la réception à l’Académie, avec un tableau intitulé Le Pèlerinage à ille de Cythère ; et M. Staley écrit, à ce propos : « Comment ce tableau en est venu à recevoir ensuite sa désignation actuelle, L’Embarquement pour l’ile de

  1. Quant au « portrait de Mlle d’Argenon » que possède le Louvre, tout le monde sait que ce célèbre dessin a été fait en 1720, chez Crozat, pendant un concert donné en l’honneur de la Rosalba.