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tombé le trust de tirer occasionnellement tout ce qu’on peut du consommateur est cause qu’il n’a pas réussi, comme il y comptait, à décourager en tout temps et partout la concurrence. Après quinze années d’une habile direction financière, il est parvenu à monopoliser, en moyenne, les trois quarts du commerce du sucre des États-Unis. Les statisticiens nous apprennent que, depuis qu’il a été formé, l’écart des profits, c’est-à-dire la différence entre le prix du sucre brut et du produit manufacturé, a été réduit. La suppression de la concurrence et les avantages d’un commerce qui se développe sur une large échelle abaissent souvent de moitié les frais de la production. L’ouvrier a sa part modique dans le profit qui en découle. L’augmentation des salaires sous le règne des trusts s’est élevée pour les ouvriers de toutes catégories d’environ un dollar par semaine. Jusqu’ici les conditions du travail en Amérique n’ont pour elles que l’expérience de la prospérité. Tant que l’offre d’emploi sera supérieure à la demande, l’ouvrier a toutes les chances du monde de défendre ses droits sur le terrain économique.

M. Jenks, le Directeur du Département des Entreprises au Bureau Fédéral, dit que, grâce aux trusts, le travail est devenu plus sûr. La raison en est évidente : avant que le trust du sucre fût organisé, quarante raffineries luttaient entre elles. Pas une ne pouvait aller au bout de ses forces de production, ni tenir constamment ses portes ouvertes à cause de la concurrence qui finit par entraîner la banqueroute de dix-huit usines. Le trust fut organisé. Il ferma plusieurs de ces raffineries qu’il s’était annexées, mais il soutint les autres dans une production sans arrêt qui employait toutes les forces. Le trust apparaît donc moins menaçant pour l’ouvrier que pour le public en général. « Si la puissance de l’organisation du travail lutte à égalité avec les combinaisons du capital, dit M. Jenks, il est probable que l’union de ces deux puissances, au moins pendant un temps, s’exercera de plus en plus aux dépens du consommateur. » D’une façon générale, les trusts ne sont pas hostiles aux associations ouvrières, et cependant on ne peut nier qu’ils ont enlevé leur gagne-pain à des classes de travailleurs qui, dans la combinaison nouvelle, n’ont plus la place qu’ils trouvaient autrefois dans les sociétés concurrentes. M. Jenks constate cette difficulté, et dit : « Il est vrai, que la souffrance sera probablement la destinée de ceux qui sont congédiés... Si cependant un réel progrès est l’effet