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il est soutenu par le sentiment de tous. Au mois d’octobre dernier, la prompte conclusion de la grève des mineurs en Pennsylvanie n’a pas été due au Président des Etats-Unis : il n’avait pas le droit d’intervenir en cette occasion, puisqu’un tel arbitrage appartenait à l’Etat de Pennsylvanie, seul responsable de sa police. C’est Théodore Roosevelt qui, soi-disant en qualité de simple citoyen, accomplit ce jour-là un acte auquel sa position officielle donnait en réalité la valeur qu’on y a reconnue. Un cas plus caractéristique encore fut l’acquisition de la Louisiane, par Thomas Jefferson, en 1803. Il convient d’entrer un peu avant dans le détail de ces négociations afin de montrer quelle préparation de l’opinion publique fournit un point d’appui à Jefferson pour oser cette sorte de coup d’Etat : on y trouvera aussi un renseignement sur les difficultés particulières qui aboutirent à la déclaration de la doctrine de Monroë

Le 1er octobre 1800, l’Espagne céda à la France toute la Louisiane, y compris le port de Nouvelle-Orléans et la franchise des eaux du Mississipi. Il y avait déjà des années que Jefferson, Secrétaire de l’Etat, prévoyant la future importance commerciale de cette voie fluviale, attachait toute son attention à ses destinées. « La cession par l’Espagne, de la Louisiane à la France, » écrit le Président Jefferson, en 1801, bouleverse complètement le système des relations politiques des Etats-Unis. Il nous est impossible de rester plus longtemps en amitié avec la France quand nous nous trouvons en face d’elle, dans un contact si irritant... Du moment que la France prend possession de Nouvelle-Orléans, il faut de toute nécessité que nous nous mariions avec la flotte et la nation anglaise. » Jefferson et son parti avaient été accusés d’aimer la France plus que la patrie américaine ; la possibilité d’une guerre avec les Français ajoutait, pour eux, à un chagrin, une anxiété politique. A la place du faible voisin d’autrefois, ils allaient trouver devant eux un nouveau venu qui avait la figure d’un rival. Il y eut pis : avant que les Français n’effectuassent leur occupation, les Espagnols déchirèrent le traité ancien qu’ils avaient passé avec les États-Unis, qui garantissait à cette nation le droit de naviguer sur le Mississipi et d’user librement du port de Nouvelle-Orléans. La colère des Américains ne connut plus de bornes. De toutes parts, des protestations furent signées par le peuple ; dans l’Ouest, on se tenait prêt à prendre les armes au premier signal. On touchait alors aux derniers jours de l’année