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pensées s’abêtissent pour les distraire ? Même à regret, il sied de les tenir à distance. Ils sont touchans ; mais il l’est bien plus d’être homme et de vivre. Nous, hommes, nous avons à lire la grande tragédie de la vie et de l’art, à livre ouvert ; ce n’est pas notre rôle de la faire épeler à ces petites bouches. Qu’ils rient et qu’ils jouent à l’écart : Ibsen les y laisse, car Ibsen est viril.

Jamais on ne fit la part plus belle aux femmes que dans « Maison de Poupée. » C’est l’homme le plus sot qui lasse l’amour de la plus charmante entre toutes les femmes. Mais quelle folie est la sienne de prendre pour une injure inexpiable, qu’on la traite en poupée ? — Et si même elle l’était ?

Où y a-t-il, dans le monde, beaucoup mieux que des poupées qui parlent, et qui s’imaginent de parler seules, de penser et de marcher ? — Si rien de plus qu’eux-mêmes n’anime les automates, en quoi un automate l’est-il plus qu’un autre automate ?

Celle-ci se fait un grand deuil d’être la poupée de son mari, et s’accuse de jouer à la poupée avec ses enfans ; mais de quoi se soucie-t-elle ? Et si à ce jeu les enfans s’amusent, d’une joie divine et sans partage ? Une femme va-t-elle se plaindre d’être la poupée de l’homme, en rougir et s’en révolter ? Mais que croit-elle qu’il soit ? L’homme est la poupée du destin. Et sans aller jusque-là, le fantoche de la cité, le pantin aux mains de mille idoles froides, qu’il appelle ses idées quand il les vante, et les lois quand il les hait. Ô vanité infinie des automates : cassant un ressort, ou changeant un rouage, ils croient changer de nature.

On ne peut rien exiger d’un autre être que l’amour. Aimer, tout est là. Qui est aimé est redevable infiniment à l’amour. Et plus encore, s’il se peut, qui aime. On vous aimait, poupées, et vous aimiez jusque-là. Voici que vous vous rendez haïssables.

C’est dans les femmes, surtout, que la bonté et le dévouement se confondent. Elles n’ont que des amours particulières, consacrées à peu d’objets. Elles n’aiment plus rien, s’il leur faut tout aimer. Qui a connu cette sorte de femmes, les préfère injustes à impartiales : elles se réservent alors tout ce qu’elles ont de cœur et de partialité. Qui nous aimera sans beaucoup de partialité ? — Leur esprit égoïse sans retour. Elles se savent si grand gré de ce qu’elles ont appris, et de penser : elles y sacrifieraient bien le monde entier, sinon elles-mêmes trop nécessaires à ce monde : tant cette qualité de comprendre leur est étrangère, qu’elles n’y portent aucune candeur, ni froideur ni désintérêt.